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cial, employant le plus pur langage italien, il se demande si un rival doit calomnier son rival, afin d’atteindre le but qu’il désire.

« La profession du courtisan, dit-il, consiste d’abord dans la grace de l’extérieur, dans la beauté de sa personne, qu’il doit conserver et réparer, si le cas échet. »

La profession principale du courtisan est de se bien battre, ou du moins, dit Castiglione dans un chapitre suivant, d’avoir l’air de se bien battre… Qui ne se rappelle ici les condottieri, vêtus de cuirasses resplendissantes et l’arme au poing, sous la condition expresse de ne jamais s’en servir, mais de s’entendre bravement pour que le champ de bataille ne soit pas ensanglanté, pour que la brillante passe d’armes reste vierge de sang humain ? Le moraliste italien nous enseigne que le courtisan doit savoir nager, sauter, courir, jouer du luth et faire tous les jeux et exercices qui plaisent ; que le courtisan ne doit pas sembler affecté lors même qu’il se permet d’inventer et de mentir ; qu’il doit user d’élégance pour parler comme pour écrire, sans jamais laisser paraître l’affectation ; que la dame qui habite la cour doit se bien vêtir pour plaire au prince d’abord, et ensuite aux courtisans ; que le principal ornement du courtisan, ce sont les lettres ; qu’il ne faut pas imiter les Français, qui méprisent les lettres, et qui regardent les gens de lettres comme vils.

Ce dernier passage mérite attention. Il donne une idée fort juste de la situation de l’Europe à l’époque dont je parle, et de l’énorme distance qui séparait le Nord et l’Occident des idées méridionales. Castiglione, qui avait beaucoup voyagé, qui se trouvait en Angleterre, et qui venait de France, s’exprime ainsi : « Les Français ne connaissent que la noblesse des armes, ils estiment comme rien tout le reste. Ils abhorrent la culture de l’esprit et tiennent les gens de lettres pour déshonorés ; chez eux, appeler un homme clerc, c’est lui dire la plus grande injure de la terre. Il se trouve un prince parmi eux nommé monseigneur d’Angoulême (François Ier dans sa jeunesse), monseigneur d’Angoulême, qui doit succéder à la couronne, et qui fera refleurir, à côté de la gloire des armes, celle des lettres, car il les aime. Je l’ai beaucoup connu, et, me trouvant à la cour, il m’a parlé de son désir de faire parvenir la France à des destinées plus lettrées. Je ne saurais trop louer la disposition de sa personne, la beauté de son visage, et une certaine et gracieuse aménité du discours, qui promet beaucoup au royaume de France. Les gentilshommes français et italiens qui connaissent ses coutumes, la grandeur de son ame, sa valeur et sa bonté, disent qu’il est impossible que la France,