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REVUE DES DEUX MONDES.

Mes défenseurs sont là par bataillons,
Et c’est là tout ce que je lui réponds.

Les portraits inventés par Brandt, perfectionnés par Locher, son traducteur latin, et fort améliorés par l’Écossais Barklay, sont de ce genre ; mais il s’en faut qu’ils vaillent en général l’esquisse comique que je viens de rapporter. Le siècle n’y regardait pas de si près ; dans le Narrenschiff, tout lui paraissait admirable. Il faut entendre ce que Locher, étudiant de dix-huit ans et fanatique partisan de Sébastien Brandt, écrit à Bergmann Von Olpe, archidiacre de Grandval et non pas libraire, comme le disent les biographies : « Je suis un jeune homme né sous un astre rigide, allaité dans les hameaux suèves, nourri de glands…, et j’ose toucher aux sacrés tripodes de Phébus ! et, malgré la stérilité de ma terre barbare, j’ai voulu baigner mon ame dans la rosée de l’Hélicon ! » — On aime à voir autour de ce berceau et de ces bégaiemens de l’observation moderne un archidiacre, un écolier, un conseiller aulique, un franciscain, et toute l’Europe du Nord attentive.

Ces traducteurs septentrionaux avaient trouvé l’invention si excellente, qu’ils se mirent à l’agrandir, à l’embellir, à l’accommoder à leur guise, à la vêtir selon la mode de leur nation. Il en fut précisément comme du roman du Renard. Chaque peuple fit son Vaisseau des fous ; un Français, nommé Jean Bouchet, eut même le tact de comprendre quel point d’union secrète se trouvait entre le roman du Renard et le Vaisseau des fous. Il les fondit en un seul ouvrage, qui eut pour titre : les Renards traversant les voies périlleuses de la vie humaine. L’œuvre bâtarde dans laquelle les deux sillons de l’observation germanique étaient ainsi mêlés ne fut guère viable. D’autres plus humbles, mais plus habiles, se contentèrent de traduire en honnête prose, qui trouva une infinité de lecteurs, les vers satiriques de Brandt. C’étaient là autant de pas faits par le Nord vers le monde du roman, vers la fine et sévère observation des caractères humains. Quant à l’Espagne et à l’Italie, elles ne touchèrent pas au Vaisseau des fous. Il est curieux de savoir pourquoi elles n’y touchaient pas et ce qu’elles faisaient alors.

IV. — OBSERVATEURS DES MŒURS EN ITALIE ET EN ESPAGNE.

L’Italie méprisait profondément le Nord ; nous étions barbares à ses yeux. Le Tasse et Machiavel maltraitent beaucoup les Français,