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ties ! Une des planches qui les accompagnent montre le monde à rebours, un fou la tête en bas, les chevaux derrière la voiture, le postillon venant après la charrette, et portant ses éperons au bout de ses bottes, — puis ailleurs les lollards, les réformateurs, — puis les gens qui remettent tout au lendemain ; ceux-là tiennent sur leur poing et sur leur tête trois corneilles, criant : cras, cras, cras ! — demain, demain, demain ! — Surtout il y a de splendides caricatures, des gloutons, des avares, des usuriers, des femmes, des hommes ; — livre oublié, qui a fait l’éducation d’un demi-siècle, et qui a précédé Rabelais, Érasme, Cervantes, Shakspeare.

La France mordit, mais légèrement, à l’hameçon de Brandt, un peu trop grossier pour elle. Quant à l’Angleterre, elle raffola de la spirituelle et vive imitation donnée par Alexandre Barklay.

Ce Barklay, né à la fin du XVe siècle, élève d’Oxford, après avoir voyagé sur le continent, ainsi que le faisaient alors tous les hommes de lettres, fut tour à tour bénédictin et franciscain ; heureux dans sa vie, bien prébendé, bien doté, comme Sébastien Brandt, comme Addison, comme la plupart de ces heureux génies qui, passant leur vie à observer le prochain, le connaissent trop pour heurter brutalement les passions ou les vices ; c’était encore un homme naïf et sage qui disait en riant ce qui lui passait par le cerveau. Au lieu de traduire servilement le texte de Brandt, il le refit. Il y jeta ses ennemis, qu’il classa parmi les fous, et jusqu’à ses imprimeurs, « qui le méritaient bien, » dit-il :

Car ils font leur devoir
Trop lestement et avec nonchaloir.

The prynters, in their business
Do all their works speedily and in haste
.

Son livre est bien plus remarquable, plus travaillé, plus puissant, mieux observé que celui de Brandt. Il charge son vaisseau de tous les fous d’Angleterre, et d’abord il a soin d’y faire entrer ceux de ses confrères les chanoines qui lui déplaisent, « les huit chanoines mineurs de Sainte-Marie-Ottery. » L’histoire se tait sur les causes de sa haine contre les huit chanoines mineurs ; mais il leur assure, comme il le dit, une place majeure sur la chiourme :

« Alexandre Barklay s’adresse à messieurs les fous, les priant de faire place aux huit chanoines mineurs de Sainte-Marie-Ottery, lesquels y méritent un rang de premier ordre. »