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REVUE DES DEUX MONDES.

La tâche est bonne, amusante et facile,
Elle distrait et soulage la bile…
À nos péchés nous penserons demain.

Voilà donc la carrière de l’observation ouverte par Hugo de Trimberg. Après lui, mille autres, sermonnaires, poètes, prosateurs, le suivent et se précipitent ; mais, chose étrange, le Nord seul fournit ces observateurs. Pétrarque chante, Boccace raconte. L’observation proprement dite, l’homme considéré comme étude, ne leur appartiennent pas. L’Angleterre, au contraire, débute comme l’Allemagne, et le premier pas de la Grande-Bretagne dans cette carrière est vigoureux et puissant. Chaucer paraît.

Chaucer emprunte aux Italiens la matière de ses récits. Mais en quoi diffère-t-il d’eux ? Quel caractère le rapproche des poètes originaux du Nord ? Le génie de l’observation. Chaucer marque de traits indélébiles les professions et les diverses humeurs de son temps. Il y a bien plus d’art et de finesse chez lui que chez Hugo ; l’essai de la Grande-Bretagne dans un genre qui devait faire sa gloire, est un coup de maître. Depuis le roman-conte de Chaucer jusqu’au roman-chronique de Walter Scott, l’Angleterre ne cessera pas d’exploiter cette mine féconde : la connaissance et l’examen de l’homme, non comme espèce et genre, non comme type et symbole, non comme entrant dans une synthèse, mais comme objet d’analyse, comme individu, souvent vicieux dans la vertu ou vertueux dans le vice, offrant les combinaisons et les nuances infinies du sort, du caractère, de l’âge, de l’humeur, de l’époque, de la circonstance et de la passion ; monde nouveau en littérature.

II. — LE ROMAN DU RENARD.

En fait d’observation et d’étude de mœurs, l’Allemagne, on vient de le voir, avait la priorité. Non-seulement Hugo de Trimberg lui appartenait, mais elle possédait et admirait depuis long-temps une épopée d’observation comique, tout empreinte de l’analyse individuelle, propre au christianisme septentrional. Si la France du nord lui dispute le poème du Renard, il est certain que le nord allemand a seul adopté et consacré cette épopée comique, populaire encore aujourd’hui dans la Germanie, et embrassant dans sa vaste enceinte, sous la forme d’animaux divers, tous les caractères et toutes les conditions. D’où vient cette fable ? On n’en sait rien. Elle est si profondément germanique, que l’on en trouve des traces jus-