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LE DERNIER OBLAT.

unie par la charité, par des liens de paix et d’amour. Peut-être un jour aurai-je le bonheur de vous revoir dans la sainte maison où vous êtes près d’entrer ; mais, si cette consolation m’était refusée, si je venais à mourir loin de vous, adorez la volonté suprême, et songez qu’il n’est point de séparation éternelle pour ceux qui ont vécu dans la pensée du salut ; songez que je serai allée vous attendre dans le ciel, aux pieds de Dieu.

Elle se tut épuisée, à bout de ses forces, mais non de son dévouement, de sa résignation. D’un signe, elle pria l’abbé d’emmener Estève, car elle pensa qu’il achèverait plus promptement de se calmer hors de sa présence, et que, revenu de ce premier mouvement, il pourrait être consolé et persuadé par les exhortations du vieux prêtre. En effet, le soir même, Estève, quoique profondément triste et malheureux de quitter sa mère, songeait sans répulsion et sans effroi à la nouvelle vie qui l’attendait ; il était déjà accoutumé à l’idée de revêtir la coule et l’aumusse des bénédictins de Châalis.

La marquise était restée seule avec sa sœur. Immobile à la même place, et trop faible pour parler ou faire une lecture, elle semblait prier mentalement. De temps en temps, Mme Godefroi prenait un livre posé sur le prie-dieu et lui lisait à haute voix quelques morceaux de l’Imitation. La Babeau pleurait tout bas dans un coin de la chambre. Avant de se retirer, Mme Godefroi s’agenouilla près du lit de sa sœur, qui venait de se coucher, et lui dit : — Je donnerais bien des années de ma vie pour vous sauver toutes ces angoisses ; mais je ne puis rien, mon Dieu ! Pourtant il dépend de moi de retarder cette cruelle séparation. Je devais partir dans quatre jours ; je resterai plus long-temps, bien plus long-temps, je resterai tant qu’on ne viendra pas me chercher de Paris.

— Non, ma chère sœur, répondit la marquise d’une voix faible et en serrant la main de la vieille dame contre son visage livide et froid, non, cette situation ne peut se prolonger ; on ne peut vivre dans l’attente et la prévision d’une séparation si douloureuse. Mes forces y succomberaient.

Toute la journée du lendemain se passa tranquillement. Mme de Blanquefort retint son fils auprès d’elle et lui parla longuement de sa vocation, de ses devoirs, de son avenir. Mme Godefroi et l’abbé l’écoutaient, touchés jusqu’aux larmes et frappés de surprise, car il s’était opéré en elle une singulière et merveilleuse transformation. Cette femme, qui jusqu’alors avait fait consister la religion dans de minutieuses pratiques de dévotion, dans de cruelles austérités, dans