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DU CALVINISME.

Grecs[1]. Dans cette unité suprême sont les idées et les formes de toutes choses ; aussi la semence substantielle du Christ était dans Dieu, et dans le Christ étaient les germes et les types de toutes choses[2]. Tel est le procédé de Servet ; il explique le christianisme par la philosophie antique. Ainsi il ne trouve pas difficile de comprendre l’union, dans le Christ, de la nature humaine avec la nature divine, parce que Parménide a enseigné que les choses terrestres ont leur soutien dans les idées éternelles. Servet ne soupçonnait pas jusqu’à quel point, par ces explications, il soulevait les chrétiens. « Servet, disait Calvin, met à la place de la génération éternelle du Verbe telles figures qu’il lui plaît d’imaginer. Si l’on croyait à ses rêveries, il suivrait que les chiens et les pourceaux seraient aussi fils de Dieu, puisqu’ils sont créés de la semence primitive et originelle du Verbe ! » Calvin démêle aussi un autre artifice de l’hérésiarque ; il remarque que Servet, tout en composant Jésus-Christ de trois élémens incréés, pour faire voir qu’il est engendré de l’essence divine, n’en fait néanmoins que le premier-né de toute créature, et le premier anneau d’un monde qui, à tous ses degrés et jusque dans la pierre, contient l’essence de la Divinité.

Les accusations du réformateur étaient fondées. Effectivement Servet a écrit que le Christ apparut le premier dans l’immensité de Dieu, comme le soleil apparaît au milieu de la lumière créée. Le Christ n’était donc pas de toute éternité ! En vain Servet donne-t-il au Christ les titres les plus magnifiques, en vain l’appelle-t-il la tête de la création, la mer éternelle des idées[3], en vain s’écrie-t-il : « La vérité, la vie et notre salut, sont dans le Christ seul ! » Il est en dehors de la croyance chrétienne ; aussi Bucer, Capito et Calvin ne voient-ils dans sa doctrine qu’un résumé monstrueux des erreurs d’Arius, de Nestorius et d’Eutichès.

Qu’était-ce donc au fond que ce Servet si maudit, si accablé ? Pas autre chose qu’un médecin vitaliste qui s’était fourvoyé dans la théologie. C’est aux historiens compétens de la médecine à faire la part légitime de Servet dans la découverte de la circulation du sang[4]. Nous dirons seulement que nous avons trouvé dans son livre un naturalisme qui n’est pas sans imagination. Malheureusement cette

  1. De Trinitate, lib. IV, p. 137
  2. Ibid., p. 146.
  3. Ibid., lib. II, p. 278.
  4. Ibid., lib. V, p. 109.