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Servet voulait absolument de la gloire, et, pour conquérir d’un coup le renom d’un grand théologien, il imagina de tracer un plan de régénération pour le christianisme. La trinité, la foi, la justification, la loi et l’Évangile, la charité, la chute et la régénération du monde, la circoncision spirituelle, la hiérarchie ecclésiastique, tels sont les sujets qu’il traita : évidemment il avait l’intention de rivaliser avec Calvin et d’opposer à l’Institution chrétienne un livre où il déroulerait l’ensemble de la religion en la régénérant. Servet s’était en outre promis de procéder avec beaucoup de prudence ; il met son livre sous l’invocation du Christ. Il le proclame fils de Dieu, il lui demande de diriger son esprit et sa plume pour qu’il puisse raconter la gloire de sa divinité : « Tu nous as enseigné, dit-il, qu’il ne faut pas mettre la lumière sous le boisseau ; ainsi donc, malheur à moi si je n’évangélise pas ! » Vanité de révélateur qui nous ferait rire si nous n’apercevions un bûcher.

Lisez les sept livres de Servet sur la trinité, vous l’y verrez répétant sans cesse que Jésus-Christ est fils de Dieu et qu’il est Dieu. Où est donc l’hérésie ? Disons d’abord que, comparée aux écrits de sa jeunesse, la Restitution du christianisme, de Servet, est un modèle de sagesse, et que, si l’auteur n’avait pas été signalé par trente années de prédication hérétique, il eût été fort difficile de le condamner sur le texte même de son livre, tant il s’y perd dans des détours, même dans des contradictions, tant il s’y couvre de voiles, tant il s’abîme dans de ténébreuses logomachies. Toutefois, à travers l’obscurité et l’industrie de ces évolutions, on saisit chez Servet une double tendance ; il cherche à transformer le christianisme en une sorte de panthéisme matérialiste ; il s’efforce en outre d’identifier la pensée chrétienne avec la sagesse profane. Tel écrivain qui de nos jours croit être neuf en mêlant les élémens les plus disparates pour expliquer le christianisme et la nature de Dieu, ne fait que reproduire les théories du médecin espagnol.

Servet, en examinant les différens noms qui désignent Dieu, montre que le dogme de l’unité absolue a été de tout temps enseigné aux hommes par les sages. Platon, dit-il, dans le Parménide, dans le Cratyle et dans le Phédon, ne fait que reproduire les leçons de Pythagore, d’Anaxagore, de Zoroastre et de Trismégiste[1]. Cette doctrine fut celle des Chaldéens, des Égyptiens, des Hébreux et des

  1. Christianismi Restitutio. De Trinitate, lib. IV, p. 130