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DU CALVINISME.

pas plus tolérant que Calvin à Genève. De leur côté, les réformés qui avaient tant à cœur de se construire une orthodoxie, sévissaient par le glaive et le feu contre les anabaptistes et les anti-trinitaires. Puisque les hommes croyaient fermement qu’ils vengeaient Dieu, pouvaient-ils moins faire que de s’ôter la vie les uns aux autres ?

Nous ne parlerons pas de la mort de Servet en style tragique, et nous ne nous appesantirons pas sur les détails d’un procès souvent raconté ; il nous semble plus utile et peut-être plus nouveau d’apprécier l’œuvre même du médecin espagnol, qu’il avait décorée du titre ambitieux de Restitution du christianisme[1]. Dès l’âge de vingt ans, Servet, qui avait quitté de fort bonne heure l’Aragon, sa patrie, pour parcourir la France, la Suisse et l’Allemagne, avait été possédé de la manie d’innover dans les matières religieuses. Il avait publié un livre dont le titre seul était un scandale, car il l’avait intitulé — de Trinitatis erroribus. C’était se vouer à une persécution sans trève et sans miséricorde, ainsi qu’à la double réprobation des protestans et des catholiques. Peu de gens lurent ce livre, qui fut promptement supprimé, mais tout le monde disait que Servet, — nous citons Théodore de Bèze, — avait blasphémé contre l’éternité du fils de Dieu, et attribué le nom de Cerbère à la trinité des trois personnes en une seule essence divine. Servet fut effrayé lui-même de l’effet qu’il avait produit ; il se tourna vers la médecine, puis vers l’érudition profane, et, dans ces études, il eût retrouvé le repos s’il n’eût pas été ressaisi de sa fièvre théologique. Il fit, pour une réimpression de la Bible, des notes que Calvin déclara impertinentes. Piqué au vif, il écrivit au réformateur, et il se perdit par ses lettres[2]. On l’y voit prendre avec Calvin le ton d’une polémique hautaine et dédaigneuse ; il dit au réformateur qu’il raisonne sottement, insulsis rationibus ; il lui demande de quel droit il dicte des lois, unde tibi authoritas constituendi leges ? enfin il prie Dieu de donner à Calvin l’intelligence de la vérité. Le malheureux ! il paiera de sa vie les inconvenances de son style épistolaire.

  1. Christianismi Restitutio. — On dit assez généralement qu’il n’en existe plus en Europe que deux exemplaires, l’un à la Bibliothèque royale de Paris, l’autre à la bibliothèque impériale de Vienne. Cela est vrai pour l’édition de 1553, qui fut détruite à l’époque du procès de Servet. Mais, en 1790, il en parut à Nuremberg une réimpression qui reproduisit l’original page pour page. Aujourd’hui, cette réimpression est elle-même assez rare.
  2. Epistolae Triginta ad Joannem Calvinum Gebennensium concionatorem. — Ces lettres se trouvent à la fin du Christianismi Restitutio.