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seul produit la puissance. Comme il avait été voué par sa famille à l’église, le premier objet qui s’offrit à sa pensée fut la religion, et sa première étude fut la théologie. Plus tard son père changea d’avis, et voulut qu’il se tournât vers la jurisprudence. À Orléans, à Bourges, aux cours du célèbre Alciat, Calvin s’initia fort avant dans la science des lois, qui, lorsqu’elle règne seule dans un esprit, peut le rétrécir et le glacer, mais qui, mêlée, aux autres notions humaines, communique à ceux qui la possèdent une précision et une expérience précieuses dans l’art de raisonner et de vivre. La connaissance du droit ne fut pas à Bourges sa seule conquête ; il y apprit aussi la langue grecque, et put ainsi puiser lui-même aux sources vives du nouveau Testament ; quelques années après, il étudiera l’hébreu à Bâle, et il sera complètement armé pour un avenir qu’il ignore. Ajoutez à cela un style à deux langues, la latine et la française ; Calvin s’est assimilé Cicéron et Sénèque, et les développemens de sa théologie se trouveront empreints de je ne sais quelle splendeur romaine. Pour écrire en français, il n’est pas embarrassé : ce Picard est contemporain de Rabelais. Seulement, son style ne fera rire personne. Calvin pourra donc embrasser toute la science divine, car il sait les langues dont se sont servis Moïse, Jésus-Christ et saint Paul ; quand il voudra par des lois positives contraindre Genève à pratiquer la foi, il se souviendra des leçons de Bourges et d’Alciat ; enfin, comme professeur, comme prédicant et comme polémiste, il pourra au même moment répandre ses doctrines ou combattre ses adversaires dans le double idiome de Rome et de Paris.

La science est stérile quand elle ne tombe pas dans un esprit ardent. Dès que, par la mort de son père, Calvin se trouva libre de suivre les penchans de son génie, il se voua sans retour au culte de cette science nouvelle de la religion, de cette foi réformée, qui exerçait sur ses adeptes un si invincible empire. L’esprit du christianisme l’avait atteint et frappé. Calvin se sentit ému et dominé par une passion unique, la passion de la vérité religieuse telle qu’il était arrivé à la sentir et à la voir. Affranchi des liens de filiale obéissance, il rompt volontairement ceux de la patrie ; il a jeté les yeux autour de lui, il a reconnu qu’en France la foi nouvelle ne pouvait échapper à une oppression tantôt sourde, tantôt ouverte, mais toujours implacable. En vain, jusque dans la noblesse et même au pied du trône, la religion réformée compte quelques sectaires ; ni le génie de la royauté, ni l’esprit du peuple ne sont pour elle. Ce ne sont pas les dangers qui effraient Calvin, mais il ne peut consentir à vivre dans