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REVUE. — CHRONIQUE.

pacha du Caire, dans le Liban, les Druses partagèrent la défaite des Maronites et tombèrent comme eux sous la domination musulmane.

À cette époque, les Druses n’avaient qu’un gouvernement anarchique ; ils vivaient sous le commandement de divers cheiks sans lien commun d’autorité. La nation était principalement partagée en deux factions, les qaisis et les yamanis, qui ressemblaient beaucoup à ce que furent en Angleterre les factions de la rose rouge et de la rose blanche ; les premiers avaient pour emblème une anémone rouge, et les seconds une fleur de pavot blanc. Toutes les familles influentes de la tribu se rangeaient sous l’une ou l’autre couleur, et cette clientelle se perpétuait héréditairement et avec une fidélité rigoureuse au drapeau. La domination musulmane changea cet état de choses. Pour simplifier la perception du tribut, le pacha turc voulut qu’il n’y eût qu’un seul chef chargé de la police et responsable du paiement des impôts. Mais cette mesure même devint funeste à la suprématie des musulmans, car, en concentrant l’autorité aux mains d’un seul chef, elle fonda et perpétua un pouvoir qui trouva la force nécessaire pour se rendre indépendant. Ce fut alors, au commencement du XVIIe siècle, qu’apparut sur la scène l’homme célèbre des Druses, celui qui révéla à l’Europe l’existence de cette population perdue, le grand émir Fakar-el-Din, qui est connu sous le nom de Fakardin.

Nommé gouverneur des Druses, l’émir Fakardin commença par gagner la confiance de la Porte en repoussant les invasions des Arabes bédouins. Il délivra la plaine de Balbek, Tyr et Saint-Jean-d’Acre, des incursions des barbares, s’empara de Beyrouth et y établit sa capitale. Les pachas de Damas et de Tripoli s’inquiétèrent de ce développement menaçant et firent partager leurs craintes par la Porte. Une expédition formidable fut préparée contre Fakardin, et l’émir, qui avait une communication avec la mer par Beyrouth, et avait déjà formé des alliances avec des princes européens, se réfugia en Italie en laissant le gouvernement de la montagne à son fils. Il se rendit à Florence, à la cour des Médicis, et ce fut alors que l’arrivée d’un prince d’Orient en Italie excita toutes les imaginations et donna naissance aux fables répandues depuis ce temps sur l’origine des Druses. La similitude des noms fit dire que les Druses étaient des descendans d’un comte de Dreux et de ses compagnons restés dans le Liban après les croisades. L’émir propagea lui-même des bruits qui faisaient de lui un allié de la maison de Lorraine, et qui pouvaient intéresser à son sort les souverains de l’Europe.

Après avoir passé neuf ans à Florence, l’émir retourna dans la montagne, n’emportant avec lui que le souvenir dangereux des arts et de la civilisation italienne. Il retrouva le Liban pacifié et tranquille. Son fils Ali avait repoussé les Turcs et calmé l’orage. Mais Fakardin, poursuivi par le souvenir de Florence, se mit à construire des palais italiens, et blessa profondément les Orientaux par l’importation des statues et des peintures que proscrit la loi musulmane. Les querelles intestines et la jalousie des pachas se réveillèrent ; le sultan Amurat IV envoya le pacha de Damas investir Beyrouth avec une