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LE DERNIER OBLAT.

la voiture eut roulé bruyamment hors de la cour, quand il fut décidément parti, Mme Godefroi se rapprocha de sa sœur, et lui dit : — Vous n’avez osé défendre ni votre enfant, ni vous-même ; et moi, retenue par vos frayeurs, par ma promesse, j’ai gardé le silence, je n’ai pu venir à votre secours, j’ai laissé faire M. de Blanquefort ; mais, je vous le jure, il n’accomplira pas sans obstacle ses desseins : demain, je le retrouverai.

— Que voulez-vous faire, grand Dieu ? s’écria Mme de Blanquefort en sortant à ces mots de son anéantissement.

— Je veux aller trouver votre mari, répondit froidement Mme Godefroi, je veux lui dire ce que je lui aurais dit aujourd’hui, si vous ne m’eussiez fermé la bouche. Soyez tranquille, vous ne serez pas là ; vous et votre fils, vous serez à l’abri de ces emportemens, de ces violences qui vous font trembler pour la vie de tous deux ; moi, je ne crains rien.

— Mon Dieu ! je suis donc perdue ! s’écria la marquise hors d’elle-même. Adélaïde, renoncez à votre résolution, je vous en supplie. Vous ne voulez donc pas me croire quand je vous dis qu’il y va de ma vie et de l’honneur de notre famille ?

— C’est au nom de cet honneur que je parlerai, répliqua Mme Godefroi ; c’est par la crainte du blâme, par le respect humain, par l’orgueil qui est son dieu, que j’attaquerai cet homme. Vos craintes vous aveuglent : il n’y a pas tant de péril que vous croyez à lui dire la vérité. Ce gentilhomme si jaloux de son honneur, ce magistrat intègre a su tromper le monde à force d’hypocrisie, donner à un sordide et détestable calcul l’apparence d’une tolérance pieuse. En sacrifiant son second fils, il a l’air de céder à vos intentions, et il satisfait impunément la haine abominable qu’il porte à son propre sang. Et vous ne voulez pas qu’il tremble quand je le menacerai de dévoiler de telles iniquités, de dire tout ce que vous avez souffert depuis seize ans ! J’irai le trouver, je le démasquerai, vous dis-je. Courage, ma sœur ! relevez-vous, envisagez votre situation. Qui pouvez-vous craindre ? Vous avez pour vous la vérité, la justice, la loi.

— Non, non, ma sœur, s’écria la marquise en proie à une agitation effrayante ; non : l’apparence vous abuse.

Et, se jetant impétueusement à genoux, elle ajouta : — M. de Blanquefort a été sévère, inflexible jusqu’à la cruauté, mais il a été juste… il a été juste en chassant de sa maison l’enfant qui n’est pas le sien !…

Cette déclaration, cet aveu d’une faute qu’elle n’avait pas même