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nées ; Rossini et Meyerbeer, chacun selon les conditions de son génie, ont apporté de vastes réformes dans cette intéressante partie du drame lyrique. Le second acte de Guillaume Tell et le quatrième des Huguenots, par l’intervention active des masses vocales, ne le cèdent en rien aux chefs-d’œuvre de l’Allemagne dans ce genre. Et, sous ce point de vue, l’éducation du public aurait fait un pas. Malheureusement ce qui manque en France, et, je le crains bien, manquera toujours dans cette classe d’honnêtes praticiens qui chantent par état et non par goût, c’est la note intelligente, l’instinct musical, et, si l’on veut, ce diable au corps qui possède, lorsqu’ils entonnent Weber ou Beethoven, ces bons Allemands qu’on nous représente d’ordinaire comme si flegmatiques. Vous connaissez le chœur italien, cette escouade si parfaitement disciplinée, qui se range au beau milieu de la scène, en trois piquets symétriques, et pour commencer attend que le chanteur ait fini ; évidemment c’est là un chœur institué à ce seul dessein de donner au virtuose le temps de prendre haleine et de s’essuyer le visage entre la cabalette de bravoure et la reprise, mais nullement en vue des convenances dramatiques. Le chœur français, dans ses meilleurs élans, dans ses velléités les plus franches, trahit toujours plus ou moins son origine ; on sent, tandis qu’il s’évertue à faire preuve d’indépendance et d’individualité, qu’il relève du génie italien ; il a beau s’escrimer, il faut qu’il en revienne à son refrain d’enfance, à cet éternel : Marchons, partons, suivons ses pas, avec lequel nos pères l’ont bercé. Il n’y a au fond d’originalité, de mouvement, d’action, que dans le chœur allemand ; lui seul vit de sa propre vie, lui seul prend vraiment part au drame qui se joue, il a son ivresse et sa mélancolie ; les grands bois, les fleuves, les torrens, l’impressionnent ; il cause et il rêve, il est un personnage de plus auquel on s’intéresse, dans le Freyschütz surtout, où son action pittoresque ou morale revient presque à chaque scène. Supprimez le chœur de la partition de Weber, et vous ôterez au chef-d’œuvre son plus beau caractère, et vous enlèverez à cette musique ce haut goût de bruyères, cette âpre et puissante saveur de ravin et de montagne qu’on y respire ; en un mot, cette branche de chêne vert qui est à la muse romantique de Weber ce que l’auréole d’or est à la muse céleste de Raphaël et de Mozart. — Les choristes de M. Schuhmann disent le morceau d’introduction avec cette franchise traditionnelle, cette humeur entraînante, auxquelles la troupe de M. Rœckel nous avait déjà initiés. Mais c’est surtout dans l’adagio du trio du premier acte, dans cet admirable dialogue qui s’établit entre le ténor et le chœur, qu’apparaissent et se développent ces précieuses qualités de demi-teinte et de nuance dont les Allemands seuls ont le secret. Comme le musicien sort ici des ornières battues ! avec quelle expression musicale, quel naturel, quelle bonhomie, tous ces gens-là s’entretiennent de leurs tristesses et de leurs plaisirs ! Max gémit et se lamente, le chœur l’arrête et le console. — C’en est fait, je n’ai plus qu’à désespérer, dit le pauvre chasseur qui vient de manquer le but. — Laisse l’espoir relever ton courage, confie-toi à la destinée, lui répond le chœur dans une phrase toute loyale et sympathique. Beethoven