Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/505

Cette page a été validée par deux contributeurs.
499
REVUE. — CHRONIQUE.

époque ironique et toute une époque rêveuse n’en sont pas moins les monarques légitimes de ceux dont ils ont ainsi gouverné les cœurs. En vérité, les écrivains qui ont exercé cet empire sont assez rares, les émotions qu’ils nous ont données sont assez précieuses, pour qu’on se sente sollicité en leur faveur : d’une véritable tendresse, à laquelle on doit être heureux et fier de se livrer. Les larmes que M. de Chateaubriand ne pouvait plus contenir étaient sous toutes les paupières.

À la réception de M. Ballanche comme à celle de M. de Tocqueville, il y avait un public nombreux. Cette affluence de bon augure justifiait les espérances exprimées par M. de Barante à la fin de son discours. Le spirituel académicien nous a dit que le goût des lettres, dont on voyait partout des symptômes, allait donner à la société une vie nouvelle. Ce n’est pas nous qui accueillerons ces paroles d’un sourire sceptique. Nous croyons fermement à la destinée de l’art. M. Ballanche nous tient encore sous une influence trop légitime pour qu’on ne nous excuse pas de rêver mythes et symboles. En faveur de l’auteur d’Orphée, qu’on nous pardonne de rappeler Amphion et sa lyre. Cette lyre qui construit une cité montre ce que l’art pourrait entreprendre à notre époque de renouvellement social.

G. de Molènes.

REVUE MUSICALE.

La troupe allemande, qui vient de débuter par le Freyschütz, à la salle Ventadour, incomplète quant à présent, et forcée, jusqu’à l’arrivée du premier ténor de Vienne, de s’en remettre à l’inexpérience d’un jeune homme qui n’avait pour lui que sa bonne volonté, n’en a pas moins, dès aujourd’hui, des parties remarquables et dignes de lui concilier la faveur publique en attendant que ses promesses se réalisent. Et d’abord, au premier rang, citons les chœurs, qui sont excellens et de beaucoup supérieurs à ceux que M. Rœckel nous amena il y a tantôt dix ans, lors d’une première importation de l’opéra allemand en France. Comme ces gens-là comprennent et nuancent ! quel instinct de l’intonation et du rhythme, quel sentiment, quelle verve, quel pathétique ! Un seul individu, pour la spontanéité, l’accord, l’indépendance, ne ferait pas mieux. Qu’on imagine maintenant, lorsque cinquante ou soixante voix franches et naturelles se groupent et s’assemblent avec cette intelligence musicale, quels effets magnifiques doivent en résulter. En Italie, le chœur n’est jamais, dans un opéra, qu’une sorte de contre-fort appuyant la voix des chanteurs, qu’une milice de réserve destinée à chauffer la coda du finale ou de la cavatine du ténor. Ni le maestro, ni les exécutans, ni le public, ne se doutent des avantages qu’on pourrait tirer d’une application moins passive. En France, il y a progrès, surtout depuis quelques an-