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REVUE. — CHRONIQUE.

appliquer à M. Ballanche le mot charmant de M. Joubert, en parlant de l’aimable mystique du dix-huitième siècle, de Saint-Martin : « Il s’est élevé à la lumière sur des ailes de chauve-souris. » Ce qu’aurait été Fénelon si les doctrines du quiétisme l’eussent emporté dans son cœur sur les intérêts et les ambitions de cour, ce qu’aurait été Lafontaine si la lecture de Baruch l’avait fait renoncer pour toujours aux philis et aux Toinons, voilà ce que fut M. Ballanche, je n’ose point dire dans son talent, mais dans son existence. Ceux qui le connaissent s’accordent tous à lui prêter un mélange d’enthousiasme sacré et de bonhomie touchante, quelque chose du prêtre d’Israël et du poète pédestre du village. Comme l’archevêque de Cambrai, il a connu les sources de l’éloquence chrétienne, il a puisé à celles de la poésie antique ; comme le bonhomme de Château-Thierry, il a ses naïvetés qu’on aime, ses douces distractions qu’on lui pardonne, et ce qui rend plus complète encore la ressemblance, son coin dans le salon d’une madame de la Sablière.

La vie de son prédécesseur et la sienne offraient un contraste qu’il est à peine besoin d’indiquer, tant il est facile à sentir. Tour à tour soldat, poète comique et comédien, M. Alexandre Duval rappela, dans les temps modernes, l’existence des poètes du XVIe siècle. Il sillonna les mers comme Cervantes ; si la fortune avait poussé quelque escadre anglaise vers la flotte qui le portait, il aurait pu revenir comme lui avec une glorieuse blessure. Eh bien ! pourtant, ce qui manqua à cette carrière dont les débuts furent éclairés par l’aurore de deux révolutions, celle de l’Amérique et celle de la France, c’est la grandeur. Après avoir promené les rêves de ses jeunes années sous le même ciel que l’auteur des Natchez, M. Duval se confina dans le monde des coulisses et fit rarement franchir les horizons de toile peinte à sa pensée. Parmi les choses légères, il en est beaucoup qui ne volent pas ou du moins qui tombent vite ; la plupart des œuvres de M. Duval sont malheureusement de ce nombre. Pour retrouver et expliquer les succès frivoles et éphémères qui bercèrent agréablement la vie de l’auteur de Maison à vendre, il y avait de véritables recherches à faire, et des recherches fort étrangères à celles qui ont pu occuper l’auteur de la Palingénésie sociale. M. Ballanche aurait donc été des plus excusables s’il avait suivi dans son discours la coutume, fort pratiquée par ses collègues, de laisser un peu de côté celui qui est mort après avoir bien souvent survécu à ses titres d’immortalité. La conscience du nouvel académicien ne lui permettait pas d’adopter un pareil usage. Il a pris au sérieux le devoir que lui imposaient les traditions, et il l’a rempli jusqu’au bout avec l’honnêteté la plus scrupuleuse. C’était une chose curieuse que la gloire de M. Duval célébrée dans le style d’Orphée et d’Antigone. L’Amérique a inspiré à M. Ballanche quelques élans auxquels son sujet ne lui permettait pas de se livrer avec abandon et franchise. À le voir s’efforcer de fermer les yeux aux merveilles de la révolution et de l’empire pour ne s’occuper que de l’humble existence où ces merveilles se sont à peine réfléchies, on eût dit un homme qui, entouré d’une campagne éblouissante, détourne le regard de ses beautés pour ne point s’écarter du sentier étroit qu’il s’obstine à suivre.