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REVUE. — CHRONIQUE.

dans notre pays. Il s’agissait donc de retracer encore une fois après tant de tableaux animés, d’apprécier de nouveau, après tant d’appréciations passionnées et sérieuses, cette rapide histoire de nos révolutions qui constitue de nos jours la grandeur de tous les débats politiques, de toutes les méditations sociales, en se faisant sentir au fond de nos discours et de nos livres, comme la ruine et l’incendie d’Ilion se faisaient sentir au fond de toutes les épopées antiques.

M. de Tocqueville a commencé par une appréciation du XVIIIe siècle ; il l’a montré jeune et hardi, plein de puissance et de sève, puis, comme pour répondre d’avance à l’objection qu’on allait lui faire contre cette jeunesse et cette force, en lui montrant ce qu’elles avaient produit, il s’est étendu, dans quelques réflexions générales pleines d’une véritable grandeur, sur ce qu’il y a de récusable dans le jugement porté sur les révolutions par ceux qui les ont accomplies. Il nous a peint avec une singulière puissance d’éloquence sombre et austère le chagrin qui prend au cœur ceux qui ont tenté de grandes choses en voyant combien, par les conditions même de notre nature, le but atteint est resté au-dessous du but désiré. Ce que le talent de M. de Tocqueville a lui-même d’inquiet et de morose convenait admirablement à cette peinture Au point de vue politique, je la crois juste ; au point de vue littéraire, elle est d’une incontestable beauté. Quand des jours de 89 il a passé à ceux de l’empire, il a encore eu des mots et des mouvemens heureux pour caractériser les deux espèces d’hommes que le despotisme trouve prêts à exécuter ses volontés : l’une, composée de gens sans probité et sans conscience, ministres malhabiles et corrompus qui le poussent à sa ruine ; l’autre, composée de serviteurs intelligens et honorables qui donnent à leur dévouement quelque chose de sacré et à leur obéissance un air de grandeur. Il est fâcheux que le milieu du discours n’ait pas répondu entièrement à ce début. La seule politique qui pût convenir au public d’une séance littéraire, c’était la politique qui se traduit d’une façon sensible par les faits de l’histoire, celle qui mêle de vives images à des réflexions soudaines ; en un mot, celle où l’imagination du poète a autant de part que l’esprit du penseur. M. de Tocqueville s’est complu dans les abstractions métaphysiques d’une politique transcendante au milieu desquelles l’auditoire saisissait çà et là quelques axiomes qui blessaient ses opinions. Peut-être sur une réunion composée des blonds enfans de Gœttingue, sur les auditeurs de Schelling ou d’Hegel, l’argumentation de M. de Tocqueville aurait-elle exercé un charme invincible et d’entraînantes séductions ; mais dans une assemblée toute française, son système, plein de longueurs et d’obscurités germaniques, était aussi mal venu que l’ombre de Sémiramis sur le théâtre où elle se frayait un chemin au milieu des actrices et des marquis. Sa péroraison l’a replacé dans des conditions de succès académique par un mouvement d’une réelle et très saisissable éloquence. Ce n’est pas seulement notre honneur, a-t-il dit, mais celui de nos pères, qui dépend de nos vices ou de nos vertus. Cette grande œuvre de la révolution, à laquelle on a préludé comme aux œuvres antiques par d’effroyables hécatombes, est