nation qui ne voudrait l’engager jamais, pour une cause quelconque, dans aucun intérêt ? Quel serait l’héritage d’une génération timide, pusillanime, qui n’oserait rien entreprendre qu’elle ne pût payer avec les écus existant matériellement dans ses caisses ? Toute la question est de savoir si la dépense excède ou non les forces réelles du pays, et si elle est productive. Or, qui pourrait sérieusement affirmer que la France est hors d’état de dépenser quelques centaines de millions en chemins de fer, et que cette dépense n’est pas, si elle est sagement conduite, sagement appliquée, un véritable placement ? Faire des chemins de fer comme celui de Versailles, c’est dilapider le capital de la France, nous en tombons d’accord, et il faut espérer que cette dure leçon aura dessillé les yeux de ces hommes ardens qui paraissent attribuer à la loi, même en matière économique, une toute-puissance qu’elle n’a pas ; mais les chemins que la chambre est appelée dans ce moment à voter sont dans de tout autres conditions. Il n’en est pas un qui ne soit utile, nécessaire à notre commerce et à notre politique ; il n’en est pas un dont il ne soit raisonnable d’attendre de grands résultats.
Nos finances, dit-on, peuvent à la rigueur suffire à l’entreprise, mais à une condition, c’est qu’on n’entame pas toutes les lignes à la fois, qu’on concentre toutes les forces et tous les moyens sur un seul et même chemin ; on mettra ainsi, pour les autres, la main à l’œuvre, lorsque les bénéfices du premier placement seront déjà réalisés.
Pour nous, qui sommes étrangers à tout intérêt particulier, la question a peu d’importance. Ce que nous désirons avant tout, c’est que les travaux commencent, et qu’ils soient poursuivis avec ardeur et avec intelligence. Peu nous importe du reste qu’on commence dans un bassin ou dans un autre, au nord ou au midi, à l’est ou à l’ouest. La chambre s’est livrée à toute son hilarité, en entendant plusieurs orateurs demander la parole : il paraît qu’elle a cru voir là des explosions de l’esprit municipal. L’hilarité de la chambre nous est d’un bon augure. Nous espérons qu’elle est résolue à ne prendre en sérieuse considération que les argumens tirés de l’intérêt général ; elle aura bien mérité du pays. Nous croyons en même temps que la chambre ne tiendrait pas assez compte de toutes les exigences de l’intérêt général et de la saine politique, si elle commençait le travail sur une seule et même ligne. Cette ligne serait sans doute une des lignes du nord. Le nord, par la force des choses ; par le cours des évènemens, et, empressons-nous de l’ajouter, sans calcul prémédité, sans aucune intention dont le midi ait le droit de se plaindre, le nord se trouve aujourd’hui, sous plus d’un rapport, plus avancé, plus favorisé par les circonstances que le midi. Faudrait-il, lorsqu’il s’agit d’un fait que le gouvernement est libre de régler, d’une entreprise dont il peut disposer, mettre la main à une ligne du nord en ajournant indéfiniment toutes les lignes du midi ? C’est là une question de politique intérieure dont le gouvernement s’était sans doute préoccupé, et avec raison, dans le projet qu’il a présenté. La chambre à son tour ne la perdra pas de vue.