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LE DERNIER OBLAT.

— Oui, madame, dites-le, ajouta le marquis sans détourner de dessus sa femme ses yeux animés d’une ironie cruelle, d’une fureur contenue ; si vous le pouvez, expliquez les scrupules de votre conscience et les pensées qui vous troublent.

La marquise garda le silence et se cacha le visage dans son mouchoir, comme pour étouffer ses pleurs. M. de Blanquefort reprit lentement :

— Vous vous taisez ! je n’insiste pas. Je ne m’attribue pas le droit de vous interroger comme un confesseur. Vous ne devez compte qu’à Dieu et au père Damase de l’état de votre ame. Vous venez de me faire connaître votre résolution, vous m’avez dit que vous persistiez dans le vœu qui vous fut dicté par la dévotion, la crainte de Dieu, la pensée du salut éternel. À présent que vous avez vous-même pour la seconde fois décidé du sort de votre fils, c’est à moi qu’appartient l’exécution de votre vœu. La maison où Estève doit faire profession est une des plus riches et des plus anciennes abbayes du royaume. J’ai été déterminé d’ailleurs par des liens de parenté. L’aïeule du prieur de Châalis était une Blanquefort. Le père Anselme est un religieux comme il n’y en a malheureusement plus guère aujourd’hui, zélé, fervent, sévère dans l’observation de la règle. S’il avait un peu moins de sainteté et un peu plus d’intrigue, il serait aujourd’hui provincial de son ordre ; mais son ambition se borne à bien gouverner son abbaye. Voilà l’homme sous l’autorité duquel Estève doit passer sa vie. Vous voyez, madame, que je suis entré dans vos pieuses intentions, et que je m’y suis en tout conformé.

La marquise ne fit aucune objection. Elle s’était soumise, et un sombre accablement avait succédé à la première explosion de sa douleur. Mme Godefroi se taisait aussi, retenue par sa promesse, mais le cœur animé de sourdes résolutions. L’énergie naturelle de son caractère lui faisait envisager sans crainte une explication violente avec le marquis, et considérer avec une amère compassion la faiblesse, les mortelles angoisses, la morne résignation de sa sœur. Le marquis s’aperçut peut-être de ces dispositions ; mais il n’eut pas l’air de remarquer la contenance indignée de Mme Godefroi et le silence obstiné qu’elle gardait.

— Madame, lui dit-il du ton le plus simple, il me reste à vous faire mes excuses pour l’embarras que cet enfant va vous causer.

— Point du tout, monsieur, répondit-elle froidement ; en venant