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REVUE. — CHRONIQUE.

parti le plus sage et le plus propre à garantir la paix de l’Europe, ce serait de laisser à l’Espagne ce qui lui appartient de droit, je veux dire toute liberté d’action à cet égard. Mais cette résolution ne serait digne et prudente que si elle était réellement commune à toutes les puissances. S’abstenir seuls tandis que d’autres travailleraient plus ou moins habilement à l’accomplissement de leurs desseins, serait faire métier de dupes. La France peut bien oublier le mot de Louis XIV et reconnaître qu’il y a encore des Pyrénées, mais à une condition : c’est qu’au-delà des Pyrénées se trouve une nation sérieusement indépendante et maîtresse d’elle-même. Si, au contraire, il ne devait y avoir qu’une préfecture, anglaise, russe ou autrichienne, peu importe, l’insouciance, l’inaction du gouvernement français serait à la fois une faute et une honte.

La Prusse continue à marcher sans bruit dans les voies du progrès, en faisant successivement avec mesure à l’opinion publique toutes les concessions légitimes qu’elle réclame. On assure que le gouvernement prussien s’occupe dans ce moment d’une loi sur la presse, ou, comme on dit dans les pays non constitutionnels, d’une loi de censure, qui élargira beaucoup le champ de la libre pensée et de la libre discussion. Sans doute les lois des gouvernemens absolus, quelque bonnes qu’elles puissent être en elles-mêmes, manquent de garantie. L’homme qui les a faites peut les défaire, à plus forte raison son successeur. Et comme il n’est point démontré que, dans les monarchies absolues, il se rencontre plus de princes justes, fermes, éclairés, que de monarques devant à la justice éternelle un compte sévère de leur ignorance ou de leurs caprices, on peut même affirmer sans paradoxe qu’en l’absence de toute garantie constitutionnelle, plus une loi est bonne, moins elle a de chances de durée. Il est juste cependant de reconnaître qu’en fait la nation prussienne n’a plus rien à craindre des résolutions soudaines et irréfléchies du pouvoir absolu. La Prusse n’a pas de charte, elle ne compte pas encore au nombre des pays constitutionnels. Elle ne possède pas moins ce qui fait la vie, la force, la garantie de toute charte constitutionnelle qui ne serait sans cela qu’un chiffon de papier je veux dire un peuple actif, vigilant, pénétré de ses devoirs et éveillé sur ses droits, une opinion publique toujours prête à dévoiler, à éclairer d’une lumière effrayante les œuvres du despotisme. Dans les pays qui ont ainsi atteint la maturité de la vie sociale, le despotisme est impossible ; s’il ose apparaître, une révolution l’étouffe. Si la révolution n’a pas besoin de se montrer, c’est que le despotisme n’existe pas et n’est pas à redouter, c’est que le pays se trouve dans une situation d’attente pleine d’attraits et d’espérances, que des mains habiles et prévoyantes y préparent, je voudrais pouvoir dire, des logemens pour la liberté. Au fait, la Prusse est entrée tout entière dans les conditions des temps modernes et s’est séparée du moyen-âge plus complètement encore que tel ou tel état constitutionnel. Ce qui domine en Prusse du consentement universel, c’est la véritable aristocratie des sociétés nouvelles, l’aristocratie des lumières. Le pays qui appelle aux affaires les Ancillon, les Humboldt, les Savigny, les Nie-