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LE DERNIER OBLAT.

Comme elle disait ces mots, le bruit d’une voiture se fit entendre dans le lointain ; les deux femmes écoutèrent un moment sans parler et en se regardant avec effroi ; puis la marquise dit d’une voix éteinte :

— C’est M. de Blanquefort ; ah ! j’avais pensé qu’il viendrait. J’ai comme le pressentiment de quelque malheur ; mon Dieu ! mon Dieu ! ayez pitié de nous !

— Eh ! que pouvez-vous craindre, ma sœur ? dit Mme Godefroi avec fermeté, pourquoi tremblez-vous devant votre mari ? Parce qu’il a été injuste, violent, parce qu’il vous a méconnue et foulée aux pieds ? Mais le moment est venu de protester enfin contre la conduite odieuse, inique de cet homme. Pendant seize ans, vous avez gardé le silence, vous avez subi sans vous plaindre tant de douleurs et d’outrages, vous avez plié à deux genoux sous la main qui vous frappait ; mais aujourd’hui, ma sœur, vous vous relèverez, et, si la force vous manque, je serai là pour vous soutenir.

— Au nom du ciel ! ne parlez pas ainsi, Adélaïde, s’écria la marquise éperdue ; vous ne savez pas… vous ne connaissez pas M. de Blanquefort… Non, non, point de révolte, point de résistance ; pas un seul mot de reproche.

— Eh bien ! c’est moi qui parlerai, je parlerai seule et en mon nom seulement.

— Non, non, vous dis-je, interrompit la marquise avec égarement ; gardez le silence, quoi qu’il arrive, ma sœur ; il y va de ma vie, de celle de mon fils. Promettez-moi, jurez-moi de vous contenir, de vous taire ?

Mme Godefroi, saisie d’étonnement et de crainte à l’aspect de cette terreur, de ce désespoir, promit de garder le silence. La marquise se jeta à genoux devant son prie-dieu, et attendit. Un moment après, la voiture de M. de Blanquefort entra dans la cour : — Est-il seul ? demanda la malheureuse mère à Mme Godefroi qui regardait en bas, cachée derrière les persiennes.

— Il est seul, répondit-elle en revenant vers sa sœur ; allons, Cécile, soyez au moins calme et résignée.

— Je le suis, Dieu me fait cette grace, dit la marquise avec l’accent d’une secrète exaltation, comme si la courte prière qu’elle venait de faire lui eût tout à coup rendu une sorte de courage et de tranquillité.

Le marquis aborda sa femme et sa belle-sœur avec le même sang-froid, la même politesse aisée et grave qu’il avait montrée à la première entrevue ; il excusa le comte Armand, qui, engagé pour un