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ESSAIS DE PHILOSOPHIE.

transforment en traité de philosophie, sans y rien changer que le nom. L’autre, infatigable adversaire de la psychologie, et ne pouvant par conséquent connaître la nature humaine à moins de la deviner, lance dans le public une philosophie humanitaire. Il donne un pendant, en philosophie, à ce parti social qui parut tout à coup, il y a quelques années, dans la politique, qui n’était ni rétrograde comme la droite, ni servile comme le centre, ni imprudent comme la gauche, et qui fit une sorte de figure jusqu’au moment où les socialistes s’aperçurent, en même temps que tout le monde, que leur nouvelle doctrine consistait à n’en point avoir. Les vieilles rancunes contre la religion font vivre les humanitaires : d’autres ont essayé d’établir leur fortune philosophique sur ce christianisme accommodant qui nous est venu des romantiques, et qui a scandalisé pendant plusieurs années les ames pieuses et les philosophes. Ne connaissant ni l’Inde, ni la Grèce, ni le moyen-âge, ils prennent parti pour la scholastique contre les méthodes indo-grecques, et, parce qu’ils ont essayé de nous ramener au moyen-âge, ils s’intitulent la philosophie du progrès. Peu importe en effet que l’on recule de trois siècles et que l’on renie Descartes, Malebranche et Leibnitz, pourvu que l’on ait à la bouche les mots de progrès et d’avenir ; la philosophie pamphlétaire a les mêmes priviléges que le droit international : le pavillon couvre tout !

La véritable faute de l’école éclectique est de s’être retirée en quelque sorte sous sa tente, de s’être bornée à l’enseignement par la parole, et à la publication de livres essentiellement scientifiques, tandis qu’elle laissait le champ libre, dans les journaux et dans toutes les publications populaires, à des écoles dont l’influence, exercée dans des intérêts de parti, ne pouvait être que pernicieuse. Malgré le préjugé, la philosophie n’est pas inaccessible, elle ne doit pas l’être ; c’est la science humaine par excellence ; chacun a dans sa conscience un interprète pour tout système de philosophie qui ne sera pas une construction vaine. Il faut que la science nous touche par tous les points, par nos besoins, nos sentimens, nos passions, nos croyances. La philosophie qui ne parvient pas à se faire comprendre, et qui reste fermée à jamais à tout homme de bon sens qui ne serait pas initié, cette philosophie n’existe pas.

M. de Rémusat donne le bon exemple et montre le chemin. Il prête à la science la clarté parfaite de son esprit et l’éclat de son style. Il entend si bien la langue des savans et celle du sens commun, qu’il les traduit l’une dans l’autre sans embarras et comme sans effort. C’était aussi l’une des plus brillantes qualités de M. Jouffroy, de savoir