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ni rattaché avec autant de sagacité à la grande chaîne des doctrines rationalistes. M. de Rémusat, qui, dans tout son livre, ne s’occupe que de métaphysique, n’expose aussi que cette partie du système de Kant, et laisse dans l’ombre la philosophie morale. Il avait peut-être le droit d’agir ainsi, mais nous devons regretter qu’il n’ait pas tenu à rendre son exposition complète. Pourquoi ne s’est-il pas souvenu que l’intention formelle et évidente de Kant est de faire un seul tout de ces deux parties de sa doctrine et que, dans la Critique de la raison pure elle-même, il prend soin d’annoncer par avance les résultats qu’il se promet d’obtenir par la critique de la raison pratique ? En opposant la morale de Kant, si dogmatique, si noble et si grande, à sa métaphysique, ou plutôt à son scepticisme absolu en métaphysique pure, M. de Rémusat n’aurait-il pas eu entre les mains un argument de plus à produire contre le criticisme de Kant ? Quel parti a tiré M. Cousin de cette étonnante contradiction dans le long et admirable ouvrage qu’il vient de publier sur le kantisme ! Enfin pourquoi, après avoir largement développé l’esthétique et la logique transcendentales, M. de Rémusat a-t-il fait une si petite part à la dialectique, qui a bien aussi son importance ?

Je ne sais si je me trompe, mais j’ai toujours pensé que c’est la dialectique transcendentale qui a conduit Kant à tout le reste. En d’autres termes, ce n’est pas dans l’analyse de la raison humaine et de ses conditions primitives, dans cette savante et profonde analyse, si pleine d’ordre, de symétrie et de proportion, que Kant a puisé le germe de son scepticisme. Ce n’est pas la psychologie qui lui a enseigné le doute ; c’est l’histoire. Kant n’a pu soutenir avec fermeté le spectacle des éternels égaremens, des prodigieuses contrariétés des systèmes philosophiques ; son regard s’est troublé, son courage a faibli. Il a mis sur le compte de l’esprit humain les misères, les faiblesses et les contradictions des philosophes, et, désespérant de mettre jamais les métaphysiciens d’accord, il a pris le parti de nier la métaphysique.

Descartes, il faut l’avouer avec M. de Rémusat, a ouvert la route au scepticisme de Kant, lorsqu’en développant le doute méthodique, il a provisoirement rejeté la raison au profit de la conscience, lorsqu’au lieu de saisir immédiatement Dieu et le monde par la puissance de ses facultés et des jugemens primitifs et nécessaires, il a mis le monde extérieur à la merci d’une démonstration. Tous ceux qui se sont inspirés de ses doctrines, se sont perdus ou égarés à la limite des deux mondes : Malebranche, Leibnitz, Spinoza. Kant met