Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/432

Cette page a été validée par deux contributeurs.
426
REVUE DES DEUX MONDES.

Nourri dans les principes d’Aristote, plié chez les jésuites, ses maîtres, à la discipline scholastique, Descartes, devenu homme et rendu à lui-même, comprend que sa science n’est que préjugés, qu’elle ne repose pas sur un ferme fondement ; que, bâtie par divers ouvriers et à diverses époques, elle n’a ni unité ni harmonie, et qu’enfin, pour l’avoir reçue d’autorité, il ne la possède que dans sa mémoire, et ne l’a pas assimilée à la substance même de son être intelligent. Il l’examine à la lumière naturelle, et la rejette comme indigne. Il repousse toute croyance qui ne force pas sa raison ; douter ainsi, qu’est-ce, sinon se soustraire à toute autorité qui n’est pas la lumière naturelle ? On peut douter de tout, excepté de son doute même ; ma conscience ne peut rejeter ma conscience ; pour supposer que je ne suis pas, il faut que j’existe. J’existe donc, puisque je pense, ou plutôt, si je pense, c’est que j’existe. Je suis un être pensant. Qu’est-ce que ma pensée ? Quels sont ses objets ? L’objet de ma pensée est triple : je pense à moi, à Dieu, à la matière. Dieu et la matière sont-ils des créations de ma fantaisie, ou des êtres qui ont l’existence réelle ? Comment me serais-je donné l’idée de Dieu, s’il n’y a rien en moi qui l’égale ? Cette idée ne sort pas de ma propre puissance, elle descend en moi du souverain être, et prouve à elle seule la réalité de son objet. La matière, telle que je la conçois, a moins de perfection dans son essence que moi-même ; mais, si je l’ai produite, si ce n’est qu’une abstraction, d’où vient que cette abstraction s’est faite en moi sans ma participation ? D’où vient qu’elle m’obsède à toute heure, qu’elle prenne une si grande part dans ma vie, et que je sente comme une invincible tendance à croire à la réalité de son objet ? Dieu n’est pas parfait, s’il m’a créé pour cette illusion. Ainsi la méthode de Descartes s’accomplit en trois pas ; c’est d’abord, pour douter de tout, un vigoureux effort qui s’arrête impuissant devant la conscience ; en moi, je trouve l’idée de Dieu, qui implique son objet, et l’idée de la matière, dont l’objet est réel aussi, si Dieu est la perfection par essence.

M. de Rémusat, plein d’un respect filial pour ce grand et sévère génie de Descartes, tout en voyant en lui, à juste titre, le régénérateur de la philosophie, attribue à son influence quelques conséquences fâcheuses : le mépris de l’histoire, l’habitude de concentrer toute la science dans l’étude des facultés intellectuelles, et ce préjugé, que le principe de la science doit être unique. Descartes a méprisé l’histoire, parce qu’avant lui et autour de lui, l’autorité régnait toute seule ; il a lutté contre Aristote, parce qu’Aristote ne laissait pas de place à