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LE DERNIER OBLAT.

ment, il la fit entrer dans le salon pour qu’elle lui tînt compagnie pendant cette triste veillée. Mme la marquise obéit. Elle se mit à genoux devant un fauteuil, son livre de prières à la main. Elle ne lisait pas ; elle avait les yeux fixés sur le mort, et cette vue lui donnait des frissons qui lui faisaient dresser les cheveux sur le front. De temps en temps M. le marquis lui parlait, mais elle ne répondait pas. Toute la nuit se passa ainsi. Le lendemain matin les gens de justice arrivèrent, et, après qu’ils eurent fait leur procès-verbal, on mit le corps dans la chapelle. Le même jour les parens et tout le clergé d’Aix vinrent pour les funérailles. Le vicomte fut enterré le lendemain. Mme la marquise avait passé toute cette journée en prières. Le père Damase, son confesseur, vint la voir, et dès-lors elle manifesta ses nouveaux sentimens. Elle ne pensait plus qu’à la mort, et elle s’y préparait comme si sa fin eût été proche. C’était une idée, une sorte de terreur qui s’était emparée de son esprit. Quelquefois, je puis vous le dire à vous, j’avais peur qu’elle ne devînt folle. La naissance de son second fils la détourna de ces imaginations. Elle ne parla plus de la mort quand elle eut cet enfant ; mais sa dévotion n’a fait qu’augmenter au milieu de ses chagrins, et véritablement c’est sa confiance en Dieu qui l’a soutenue dans une si triste vie.

— C’est une ame pleine de douceur et de faiblesse, dit tristement Mme Godefroi ; elle a succombé sans aucune résistance, sans tenter un effort contre les autres ou sur elle-même. Et, dis-moi, les meurtriers du vicomte ont-ils été reconnus et pendus ?

— Malheureusement non. Ils firent du chemin pendant la nuit, et, le lendemain, quand la maréchaussée se mit à leur poursuite, ils avaient peut-être quinze lieues d’avance. M. le marquis ne s’épargna pas dans cette affaire ; mais toutes ses diligences n’aboutirent à rien.

— Voilà une lugubre histoire, dit la vieille dame en se rapprochant instinctivement de la Babeau. Malgré sa force d’ame, elle ressentait une vague terreur, et les faibles bruits que le moindre souffle de vent éveillait dans le feuillage des figuiers la faisaient frissonner.

— Viens, Babeau, reprit-elle en se levant vivement comme pour s’enfuir, viens, rentrons.

Plusieurs jours s’écoulèrent dans la monotone uniformité de cette vie solitaire, inaccessible aux bruits extérieurs, dont les habitans de la Tuzelle avaient depuis si long-temps l’habitude. La présence de Mme Godefroi et de sa suite n’avait pu animer et remplir cette maison vide et muette. On y parlait à voix basse, on n’y riait jamais, on s’y pétrifiait en quelque sorte dans la scrupuleuse observation des com-