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plus redoutable ennemi de la philosophie ; de cette espèce de scepticisme qui naît de l’indifférence. Pour échauffer le peuple et le soustraire aux influences réactionnaires, les libéraux avaient recours aux mêmes doctrines qui l’avaient fait se lever une fois. De 1817 à 1824, ils publièrent douze éditions de Voltaire, treize éditions de Rousseau, un grand nombre d’écrits des encyclopédistes, et jetèrent ainsi dans le public la masse énorme de 2,741,400 volumes, qualifiés alors d’anarchiques et d’incendiaires. Mais cette nourriture ne suffisait plus aux jeunes gens d’élite qui recevaient le nouvel enseignement, et qui voyaient à découvert toute la misère du sensualisme. L’expérience de l’empire avait montré l’insuffisance des vieilles doctrines libérales ; on commençait à ne pas séparer la cause de l’ordre de la véritable liberté. On n’aspirait plus uniquement à détruire, on voulait innover et fonder. L’imagination agitée de mille rêves, l’esprit et le cœur remplis de mille besoins nouveaux, sans préjugés, sans parti, par conséquent, mais déjà sur le point d’en constituer un, les fondateurs du Globe se réunirent pour donner un organe aux opinions jeunes en littérature et en philosophie, et se faire une place entre les libéraux à courte vue, qui n’avaient que des haines et point de doctrines, et les hommes de la réaction, leurs ennemis naturels. Le Globe fut fondé en septembre 1824, et devint quotidien le 15 février 1830. Pendant cette période de cinq ans, il changea de fortune, mais non de but et de caractère ; obscur et même impopulaire dans les commencemens, il conquit l’influence et la popularité par le talent, par la persévérance, et surtout par l’ascendant naturel d’une cause généreuse. M. de Rémusat était là le premier jour, et avec lui, pour ne parler que des philosophes, M. Damiron, M. Dubois, que la philosophie disputait à la littérature, et ce rare esprit, si tôt enlevé, dont chaque article était une œuvre accomplie, M. Théodore Jouffroy. La philosophie qui leur était commune, et à laquelle chacun d’eux se rattachait avec son originalité propre, c’était la philosophie éclectique, et au-dessus d’elle la grande école rationaliste d’où l’éclectisme est sorti, l’école de Descartes et de Leibnitz. Si M. Cousin n’appartenait pas, à proprement parler, à la rédaction du Globe, on peut dire qu’il y était par ses amis et par ses disciples ; il détachait pour le Globe des fragmens de ses ouvrages, il y insérait ses argumens des dialogues de Platon, des extraits de son édition de Descartes. Le rationalisme commençait à jeter un vif éclat, et cependant il ne régnait pas encore ; les phrénologistes balançaient son influence, le Mémorial catholique et le clergé tonnaient contre