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se promenait un moment dans la cour étroite et sombre qui précédait le cimetière. Cette partie du monastère était depuis long-temps abandonnée, le toit menaçait ruine, et il pleuvait dans l’escalier qui conduisait à la cellule. Au rez-de-chaussée, il y avait une salle dont le mur, percé d’une porte à vantaux sculptés, s’étendait sur toute la longueur de la cour. Une fois Estève osa pousser cette porte et franchir le seuil. Un air humide et frais frappa son visage comme s’il se fût placé à l’entrée d’un souterrain, et il distingua dans l’obscurité les murailles et la voûte d’une vaste salle entièrement démeublée ; les croisées à colonnettes étaient fermées par de lourds contrevens, le jour pénétrait à travers les ais disjoints et sillonnait les ténèbres de lumineux filets.

Estève comprit, par la disposition des lieux, que ces croisées s’ouvraient sur la fatale enceinte d’où s’élevaient, la nuit, les lamentables voix qu’il avait deux fois entendues. Poussé par un sentiment douloureux de compassion et de curiosité, il avança encore, et, s’appuyant à la croisée, il colla son visage contre les fentes ; son regard plongea dans une cour environnée de hautes murailles et où croissaient, parmi les pierres, de grandes touffes d’herbes d’un vert obscur, mais il n’aperçut aucune créature vivante dans ces lieux désolés. Seulement, il lui sembla qu’une forme humaine se levait derrière le grillage d’une fenêtre qui était presque au niveau du sol.

— Grand Dieu ! murmura-t-il en se retirant, voilà donc le dernier terme de la misère humaine !

Enfin, la veille de l’Octave arriva. Le père-maître connaissait trop bien la discipline monastique pour manquer aux ordres du prieur : il avait attendu le dernier jour pour annoncer à Mme Godefroi qu’Estève allait prononcer ses vœux ; mais ce jour-là, dès le matin, il écrivit. Cette lettre arriva le même soir à Paris ; Mme Godefroi n’était point chez elle ; un souper chez Mme d’Épinay la retint jusqu’à quatre heures avec Grimm, Dudos, et quelques autres personnages célèbres de l’époque. En rentrant, elle trouva la lettre du père Bruno sur sa toilette, parmi plusieurs autres lettres, et, tandis qu’on la coiffait pour la nuit, elle se mit à parcourir sa correspondance.

— Andrette, des chevaux ! une chaise de poste ! s’écria-t-elle tout à coup en repoussant la soubrette et en se levant impétueusement ; il faut que j’arrive à temps !… Il faut que je parle à cet enfant avant qu’il ait prononcé ses vœux… et c’est demain, demain, grand Dieu !… Ah ! j’ai trop tardé !… j’ai trop attendu !…

Ces ordres précipités mirent tout l’hôtel en rumeur. Le bruit en