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LE DERNIER OBLAT.

parcourut du regard ce séjour où tout semblait inviter au recueillement, à la paix, aux tranquilles extases de la vie contemplative. La lampe de cuivre posée sur une table au milieu de la cellule jetait une clarté assez vive pour qu’on pût distinguer d’un coup d’œil tous les détails de l’ameublement. Le lit blanc et douillet était entouré de rideaux de bazin pareils à ceux de la fenêtre ; au chevet, il y avait un prie-dieu, sur lequel étaient rangés quelques livres et un sablier. Un grand fauteuil de cuir et quelques chaises étaient alignés contre les murs, lambrissés de chêne dans toute leur hauteur. La cheminée, de bois sculpté et à haut chambranle, n’avait ni glaces, ni dorures ; le talent d’un jeune peintre qui, après un pèlerinage artistique en Italie, était mort novice à l’abbaye de Châalis, y avait laissé un plus magnifique ornement : c’était une copie de la Vierge à la chaise, la plus belle des madones de Raphaël. Ce simple mobilier avait un caractère particulier d’élégance, de recherche modeste. Les bois noirs et luisans contrastaient heureusement avec la blancheur éclatante des tissus qui drapaient le lit et les fenêtres ; les rameaux bénits, les chapelets, les images attachées aux murs, formaient une décoration en harmonie avec le ton austère des boiseries, et la disposition de ces pieux ornemens témoignait d’un goût naïf qui ne manquait ni de grace ni de poésie.

Estève s’était agenouillé devant le prie-Dieu ; mais, tandis que ses lèvres murmuraient les oraisons accoutumées, son esprit, tout à la fois exalté et abattu par les émotions de cette journée, était livré à d’invincibles distractions ; de vagues images passaient devant ses yeux à demi fermés, et lorsque la brise soufflait mollement contre les vitraux de la fenêtre, il tressaillait, comme si quelque voix mystérieuse eût troublé le silence de sa cellule.

Plusieurs heures s’écoulèrent ainsi. La lampe jetait une lumière plus pâle ; les faibles bruits qui de temps en temps résonnaient au dehors avaient cessé ; le vent même se taisait, et nul souffle ne troublait le calme des airs.

Au milieu de ce silence, le timbre de l’horloge frappa minuit. Un instant après, la cloche de l’église retentit dans tout le monastère. On sonnait les matines. Estève se leva vivement et prit son formulaire, pensant que c’était l’heure de descendre au chœur. Après avoir attendu un quart d’heure, il supposa que les novices avaient eu le temps de se vêtir, et il ouvrit doucement la porte pour se joindre à eux ; mais il n’y avait personne dans le corridor, qu’une lampe éclairait dans toute sa profondeur. Estève écouta, attendit encore, les