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LE DERNIER OBLAT.

novices. Enfin le convers s’arrêta au fond d’un long corridor sur lequel s’ouvraient de chaque côté de petites portes cintrées.

— C’est ici le dortoir des novices, dit-il avec un soupir. Hélas ! mon frère, vous y trouverez beaucoup de cellules vides ; nous sommes dans un siècle de folie et d’impiété, il n’y a plus de religion. Lorsque j’entrai dans cette maison, il y aura trente ans vienne la fête de l’apôtre saint Pierre, chaque chambre de ce dortoir était occupée, il avait fallu mettre des novices dans le troisième cloître ; mais aujourd’hui on n’est pas en peine pour leur faire place, et le révérend père Bruno n’a pas besoin d’aide pour les instruire et les gouverner.

En effet, il n’y avait plus à l’abbaye de Châalis qu’un petit nombre de novices. Leur maître, le père Bruno, était un vieillard alerte et gai, dont la bonne humeur était passée en proverbe dans la maison. L’habitude de vivre avec des jeunes gens, l’espèce d’activité à laquelle ses fonctions l’obligeaient, l’avaient préservé du plus terrible fléau de la vie religieuse, de l’ennui qui dévore les moines. Il embrassa Estève après lui avoir donné sa bénédiction, et lui dit en souriant :

— Vous êtes tout ému, mon cher fils ; cela ne me surprend pas, c’est toujours ainsi. Bien qu’on soit sûr de trouver dans cette maison l’abondance de tous les biens spirituels et temporels, on n’y entre pas sans crainte ; mais cette angoisse passe vite, vous vous ferez bientôt à la vie qu’on mène parmi nous. Que vous a commandé notre prieur ?

— D’obéir aux ordres de votre révérence, répondit Estève, encouragé par cet accueil.

— Je tâcherai de répondre aux intentions de sa paternité. D’abord, mon cher fils, vous allez prendre possession de votre cellule.

En parlant ainsi, le père Bruno conduisit lui-même Estève dans une chambrette en tout semblable à la sienne et à celle du prieur. La règle ne faisait aucune distinction, et permettait les mêmes recherches aux simples novices et aux grands dignitaires de l’ordre. Estève contempla avec une satisfaction naïve cette cellule riante où il allait vivre, et, comme l’avait prévu l’abbé Girou, il ne lui vint pas à l’esprit que c’était une prison plus forte, plus terrible que celles qui sont environnées de sombres murailles et fermées d’une triple porte. Il en fit lentement le tour comme pour s’y établir, et, en jetant les yeux vers le chevet du lit, il aperçut quelque chose dont la vue le fit tressaillir : c’était la robe et le scapulaire des bénédictins, l’habit qu’il allait bientôt revêtir.

Le père Bruno prit la robe et la lui montra. — Elle est toute neuve,