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taire sur le comfortable ameublement de la cellule ; oui, je renonce à tous les biens de ce monde ; désormais je ne posséderai plus rien, pas même le saint habit que je dois revêtir, et qui, comme tout ce qu’on me prêtera pour mon usage, appartient à la communauté.

— Savez-vous aussi à quoi vous engage le vœu d’obéissance ?

— Je sais, mon père, qu’il m’oblige au sacrifice entier de ma volonté et à une soumission passive envers mes supérieurs.

— Et le troisième vœu, mon fils, le vœu de chasteté ? Songez qu’il suffit, pour le violer, pour perdre votre ame, d’une pensée impure, d’un seul regard, d’une tentation involontaire, et dites-moi si vous vous sentez assez de vertu pour le garder ?

À cette question, un sentiment instinctif de pudeur fit rougir le front d’Estève, et il répondit d’une voix plus basse :

— Oui, mon père, je me garderai de toute souillure.

Un léger sourire passa sur les lèvres du père Anselme ; il devina cette sainte innocence, qui n’avait trouvé qu’un sens vague à ses paroles, et il en eut quelque étonnement : c’était la première fois qu’un novice arrivait à lui sans avoir laissé en chemin quelque lambeau de sa robe baptismale.

— Mon fils, dit-il avec une satisfaction secrète, vous resterez parmi nous, puisque telle est votre ferme vocation. Dans deux jours, vous prendrez l’habit et vous entrerez au noviciat. En attendant, allez trouver le père-maître et obéissez à ses instructions.

En disant ces mots, il agita une clochette d’argent posée sur sa table. Aussitôt le convers, qui attendait dehors, entr’ouvrit discrètement la porte et montra sa béate figure. Apparemment il avait déjà reçu des ordres, car, sans explications et sur un geste du prieur, il fit sa génuflexion et emmena Estève.

Le quartier des novices était dans la partie de l’abbaye qu’on appelait le petit cloître. C’était un ancien édifice, le plus ancien peut-être de cette masse de constructions dont les passages, les escaliers, les longs corridors, formaient un labyrinthe où Estève se serait égaré sans le secours de son guide. D’abord il avait gardé le silence, comme s’il eût craint d’éveiller les échos de ces voûtes sonores sous lesquelles retentissaient ses pas. Il marchait, recueilli dans l’étonnement de sa nouvelle situation et dans l’admiration de tout ce qu’il voyait. De temps en temps, le convers l’arrêtait pour lui faire remarquer avec une vanité monacale et sournoise les splendeurs de la maison. Ils saluèrent en passant beaucoup de saintes images ; ils firent bien des génuflexions avant d’arriver à la cellule du maître des