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LE DERNIER OBLAT.

Estève entra le regard baissé, le cœur palpitant, et resta debout près de la porte qui venait de se refermer derrière lui. Bien qu’il n’osât lever les yeux, il apercevait pourtant à l’autre extrémité de la cellule un religieux qui lisait assis dans un fauteuil profond, et les pieds commodément appuyés sur un coussin. Les rideaux blancs de la fenêtre étaient baissés, un jour paisible tombait sur cette figure immobile et remplissait la cellule, où l’on respirait comme une faible odeur d’encens. Une exquise propreté, un ordre minutieux, régnaient dans l’arrangement du mobilier, qui était simple et d’un goût ancien. Il y avait dans l’atmosphère, dans les recherches modestes de ce séjour, dans l’aspect de ce moine tranquillement occupé, un air de béatitude monacale qui aurait raffermi l’ame d’Estève, si elle eût été troublée par quelque regret, quelque hésitation ; mais le pauvre enfant n’avait pas besoin d’être soutenu dans sa vocation : il arrivait sans crainte, sans défiance, peut-être comme jamais aucun novice, quelque ferme que fût sa résolution, n’était entré dans les murs de Châalis.

— Soyez le bien-venu, mon cher fils, dit le prieur en se levant à demi pour donner à Estève sa bénédiction pastorale.

À ce geste, que les gens du monde eussent pris pour un salut, Estève fléchit les genoux et courba la tête avec une émotion profonde. La bénédiction du prieur était pour lui comme une première consécration, il accomplissait, en la recevant, le premier acte de sa vie religieuse. L’absence de tous ceux qu’il aimait, l’isolement où il était resté après le départ de Mme Godefroi, avaient disposé son ame à se réfugier promptement dans de nouvelles affections, à implorer pour ainsi dire l’amitié, l’appui de ces étrangers au milieu desquels il venait vivre. En voyant celui qu’il appelait son père spirituel, il pensa retrouver un maître indulgent, un ami comme l’abbé Girou, et par un mouvement spontané il toucha de ses lèvres la main qu’étendait sur lui le père Anselme. Le moine regarda fixement et avec une sorte de surprise cet enfant qui, incliné à ses pieds, versait des larmes d’attendrissement ; puis il dit gravement comme s’il eût voulu réprimer les manifestations auxquelles Estève se laissait aller :

— Asseyez-vous, mon fils ; quand j’aurai fini ma lecture, je vous parlerai.

Estève s’assit à l’écart, dans l’embrasure d’une fenêtre qui donnait sur le grand cloître. Heureusement il y avait en lui, comme chez la plupart des très jeunes gens, une mobilité d’idées qui atténuait la violence de ses impressions : une sérénité mélancolique succéda bien-