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soigneusement, de peur que leurs fines dentelures ne viennent à s’émousser par le frottement ou à se briser dans quelque choc imprévu. Enfin, si l’ennemi méprise ses premières blessures et ces armes qui l’atteignent de loin, voilà que de chaque pied va sortir un épieu plus court, mais aussi plus fort, plus solide, et que des muscles particuliers mettent en jeu dès qu’il s’agit de combattre tout-à-fait corps à corps.

Ce n’est pas sans raison que la nature a doté nos amazones de ces armes plus brillantes, plus acérées que celles d’aucun paladin. Destinées à vivre de rapine, en butte aux attaques de mille ennemis, elles en avaient besoin doublement pour attaquer et pour se défendre. Presque toutes se nourrissent de proies vivantes. Les unes, placées en embuscade, attendent au passage les petits crustacés, les planariées ou autres petits animaux, les saisissent avec leur trompe ou les enlacent de leurs mille bras. D’autres, plus actives, les poursuivent dans le sable ou à travers les touffes de corallines, de nullipores et autres plantes marines. Quelques-unes se fixent sur des coquilles, les perforent, et dévorent ensuite l’animal qu’elles renferment. Les hermelles, espèce d’annélides tubicoles, font ainsi de grands ravages sur les bancs d’huîtres, et ont déjà détruit plusieurs colonies de ce mollusque si cher aux gourmets. À leur tour, les annélides sont chassées par une multitude d’animaux carnassiers. Les poissons leur font une rude guerre, et, si quelque imprudente abandonne ses retraites souterraines, si le mouvement des vagues la met à découvert, il est rare qu’elle échappe à la dent meurtrière des merlans, des congres, des soles, des plies. On assure que ces dernières savent très bien les déterrer en fouillant dans le sable. C’est encore ce que font les turbo et les buccins. Les crabes, les homards et un grand nombre d’autres crustacés sont aussi pour elles des ennemis d’autant plus redoutables que, protégés par une cuirasse solide, ils se trouvent entièrement à l’abri de leurs armes.

C’était avec un vif sentiment de curiosité que, dans mes longues promenades, j’étudiais les mœurs de ces peuplades ennemies, que j’assistais à des escarmouches presque toujours terminées par un repas dont le vaincu faisait personnellement les frais. Souvent je m’amusais à les provoquer. Un jour, entre autres, j’avais jeté une grosse arénicole dans une mare de quelques pieds d’étendue. Une bande de petites chevrettes, qui semblaient se prélasser dans leur belle eau de mer, s’éparpilla d’abord, effrayée par le bruit que fit en tombant ce corps étranger ; mais, au bout d’un instant, elles se rassu-