Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/375

Cette page a été validée par deux contributeurs.
369
L’ARCHIPEL DE CHAUSEY.

microscopiques les tiges et les feuilles des plantes marines ; des éponges de toute nuance et de toute forme s’entrelaçaient aux branches des fucus, se collaient aux flancs des rochers et les couvraient de larges plaques ou de réseaux entrecroisés ; çà et là, des théties montraient leurs lobes arrondis, hérissés de petites aiguilles, à côté des digitations des alcyons et des lobulaires ; et quelquefois une holothurie blanchâtre, au corps allongé et polygonal, promenait ses pieds en suçoirs sur ces tapis vivans, en agitant sa couronne de tentacules ramifiés. Que les heures passèrent rapidement pour moi sur cette plage féconde, tandis que je garnissais mes boîtes et mes flacons ! J’aurais voulu tout admirer à la fois, tout recueillir, tout emporter. Mais je dus bientôt songer au retour. Les longs rubans des laminaires, qui jusque-là s’étaient dirigés vers la mer, s’arrêtèrent un instant, se replièrent mollement sur eux-mêmes, et tournèrent enfin vers l’intérieur des terres leurs franges plissées, que faisait ondoyer un courant de plus en plus rapide. L’Océan reprenait possession de ses domaines. Il fallut céder et regagner mon canot, non sans m’être bien promis de revenir.

Les annélides me préoccupèrent surtout dans ces premières explorations. Je ne connaissais encore que par des gravures cette famille nombreuse, vulgairement désignée sous le nom de vers marins, et, si je m’étais fait une idée assez exacte de leur organisation, j’étais bien loin de soupçonner tout ce qu’il y a de curieux dans leur étude. Lorsque j’eus surpris dans leurs retraites obscures ces polynoés aux larges écailles brunâtres, ces phyllodocés aux cent anneaux du plus beau vert, ces néréides aux panaches de pourpre, ces térébelles qu’entourent comme un nuage mille câbles vivans qui leur servent de bras ; lorsque j’eus vu se déployer sous mes yeux le riche éventail des amphitrites, alors je cessai de sourire, comme je l’avais fait tant de fois, en songeant qu’un naturaliste avait décoré deux de ces animaux des noms charmans de Mathilde et d’Herminie. Ces êtres si dédaignés me parurent dignes de cet hommage aussi bien que le plus brillant insecte, que la plus noble fleur. Qu’on ne me cite plus la violette comme un modèle de modestie. La coquette ! la voyez-vous montrer de loin sa fraîche touffe de feuilles vertes et s’entourer de ce parfum suave qui vous invite à la cueillir ? Plus habile que ses rivales, elle sait que le mystère est le plus grand des attraits, et que la rose elle-même perd à se montrer au grand jour. Aussi cherche-t-elle l’obscurité de nos bosquets, l’abri champêtre de nos haies ; mais, comme la bergère de Virgile, elle ne se cache que pour se