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L’ARCHIPEL DE CHAUSEY.

rant d’un nuage coloré. Les enfans détachent du rocher les patelles, les turbo, les buccins, espèces de colimaçons de mer, les haliotides à l’écaille nacrée, ou les moules réunies en grappes à l’aide des fils tissés par l’animal. Pendant deux ou trois heures, la plage est animée par toute cette population, qui vient lui demander sa provende quotidienne. Mais bientôt le flot revient vers le rivage, la mer monte ; de toutes parts on s’empresse, on rentre chez soi, sûr que la mer va remplacer ce qu’on vient de lui prendre, et qu’on pourra, dans quelques heures, recommencer une récolte qui n’a jamais demandé de semailles.

J’étais porteur d’une lettre de recommandation pour M. Beautemps, neveu du célèbre ingénieur hydrographe à qui nous devons le magnifique atlas du littoral de la France. Un de mes premiers soins fut d’en faire usage, et, grace à lui, je fus présenté à M. Harasse, propriétaire des îles Chausey, et à M. Dubreuil, commandant du garde-côte le Moustique. Le premier m’accorda la permission d’aller m’installer sur ses terres, et y joignit la jouissance d’une chambre réservée dans les bâtimens qui servent à l’exploitation de cette propriété maritime ; le second se chargea de me transporter à ma nouvelle résidence.

Le lendemain, à six heures du matin, j’étais à bord du Moustique, qui leva l’ancre et sortit du port de Granville. La mer était très grosse et le vent contraire ; il fallut louvoyer. L’épreuve était rude pour un novice. Néanmoins je tins bon près de trois quarts d’heure, et déjà le commandant m’avait complimenté sur la manière dont je supportais le tangage, lorsque quelques soulèvemens d’estomac m’avertirent que je ne tarderais pas à payer mon tribut. Bientôt il me fallut descendre dans la cabine, et pendant près de-trois heures je me trouvai en proie à toutes les horreurs du mal de mer. Mais enfin ces angoisses cessèrent ; le Moustique mouilla dans le hâvre des îles Chausey, le terrible tangage qui avait si rudement secoué mes entrailles fit place au léger balancement d’un navire qui se repose, et la brise fraîche du nord-ouest me rendit tout mon courage.

Quelques instans après, j’étais à terre et prenais possession de mon appartement. C’était une grande chambre dont les murs, revêtus par l’humidité d’une teinte noirâtre, laissaient à peine deviner çà et là quelques restes problématiques d’une ancienne peinture à l’huile. Sur un plancher plus qu’inégal reposaient une grande table carrée, une petite table ronde, quelques chaises et une armoire. Un cadre pendu au plafond par quatre cordes, garni de quelques poignées de