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Hélas ! que peut-il faire ? Il lui faudrait, pour négocier activement et ne pas tomber, le consentement de quarante ou cinquante producteurs, nos maîtres à tous, et ce consentement, il ne l’aura jamais. Nous resterons les bras croisés, plongés dans l’admiration de notre système protecteur, jusqu’à ce qu’un beau jour nous nous réveillions, n’ayant plus d’autres consommateurs que nous-mêmes, d’autre marché que le marché intérieur. On aura fait du pays le plus expansif par la langue, par les idées, par la civilisation, par les arts, une sorte de Chine, pour l’industrie et pour le commerce. C’est ainsi que nous serons un jour contraints de reprendre le fusil et l’épée. Ce seront nos producteurs privilégiés, les vrais prédicateurs, les défenseurs nés de la paix à tout prix, qui nous auront ramenés à la guerre comme au seul moyen qui nous restera de ne pas étouffer. Il est, en effet, si absurde de stimuler de toutes manières la production, et d’interdire en même temps au gouvernement tout ce qui pourrait nous faire ouvrir de nouveaux débouchés ! Quel est le sort qui attend les pays ainsi gouvernés ? Évidemment ils se trouveront tôt ou tard dans cette alternative, d’étouffer ou de se donner de l’air, de l’espace, par les colonisations ou par la guerre.

Coloniser ! Est-ce là notre penchant, notre espérance, notre habileté ? Nos petites colonies à sucre, hier encore, nous les avons sacrifiées à je ne sais quels intérêts sans légitimité et sans grandeur. Nous possédons un immense territoire à la Guyane. Qu’en faisons-nous ? Il existe, il est vrai, une commission, une commission composée d’hommes habiles, zélés ; ils s’occupent sans relâche de la mission qui leur a été confiée. Ils feront un rapport, un projet, un excellent rapport, un bon projet, je n’en doute pas. Nos archives regorgent de projets utiles et de rapports lumineux.

Nous possédons l’Algérie ; nous voulons la posséder. Il y a, il y aura une Afrique française. Malheureusement c’est là le seul point décidé. Que sera-t-elle ? Quelle en sera l’organisation ? Y aura-t-il une vaste colonisation algérienne ? Sur quels principes, par quels moyens ? Qui le sait ? On ne le sait pas plus aujourd’hui qu’on ne le savait un an après la conquête. Sur ce point encore, nous possédons ce qui nous est octroyé avec une incomparable largesse, une commission, une nombreuse commission, une commission qui compte dans son sein des hommes très recommandables par leurs lumières, par leur expérience, par leur amour du bien. La commission s’est mise au travail depuis long-temps ; elle s’est divisée en plusieurs sous-commissions : la législation, la guerre, la marine, l’agriculture, le commerce et l’industrie ; bref, chaque branche de la chose publique en Algérie a été confiée à des commissaires spéciaux plus ou moins compétens. En attendant, la session s’écoulera, l’année s’écoulera, sans qu’il y ait rien de fait, rien de décidé. Ce ne sera qu’en 1843 que les chambres pourront fixer leur attention sur les travaux des commissaires. Nous disons fixer leur attention, car de l’attention à la résolution, de l’étude à l’action, la distance est grande encore, et il pourra arriver de la question algérienne ce qui arrive de la question des sucres, de celle des bestiaux et de tant d’autres. Qu’on vienne ensuite nous dire que