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ces humbles recherches avaient été oubliées ou dédaignées. Le soleil, qui dardait sur les contrevents fermés, projetait une réverbération rougeâtre sur le carreau poudreux ; les étagères étaient couvertes d’échantillons de minéralogie dont les couleurs terreuses formaient une assez laide mosaïque ; quelques fleurs étaient arrangées sur une encognure, mais c’étaient des fleurs artificielles fabriquées avec des coquillages : bouquets bizarres, sans parfum, sans fraîcheur et sans grace.

— Ne vous dérangez pas, mon cher enfant, dit Mme Godefroi en forçant Estève à se rasseoir devant la table ; je viens, si M. l’abbé le permet, assister à une de vos leçons ; faites comme si je n’étais pas là, et continuez votre lecture.

— Mais cela va vous ennuyer beaucoup, observa naïvement Estève.

— Eh ! pourquoi ? Cette étude vous ennuie donc vous-même ?

— Moi, c’est bien différent.

— Vraiment, mon neveu ! s’écria Mme Godefroi, en souriant de la vanité ingénue qu’elle croyait découvrir dans cette réponse.

— Madame votre tante ne vous comprend pas bien, mon cher Estève, dit doucement l’abbé Girou ; achevez d’expliquer votre pensée.

Estève baissa les yeux, et dit en reprenant un cahier manuscrit qu’il avait posé sur le gros in-folio ouvert devant lui : — Ce travail est d’obligation ; si je le faisais avec ennui, je commettrais une faute.

— J’entends, dit Mme Godefroi, touchée de ce naïf effort de conscience, vous prenez goût à vos occupations par devoir, n’est-ce pas ? C’est bien, mon enfant ! Et dites-moi quel est ce livre que vous lisiez quand je suis entrée ?

— C’est, répondit Estève, le trentième volume des Acta sanctorum.

— Nous en avons traduit une partie, ajouta l’abbé ; c’est cette traduction que nous allions revoir.

— Voyons, j’écoute, dit Mme Godefroi en s’asseyant.

Estève reprit ses cahiers et lut à haute voix la légende qu’il venait de mettre en français ; c’était la vie de deux sœurs, de deux nobles dames syriennes, sainte Marane et sainte Cyre, qui avaient quitté leur palais pour habiter une cellule murée, et dont la pénitence avait duré quarante ans. Leur histoire n’était que la lugubre énumération des austérités inouies, des supplices étranges qu’elles avaient volontairement supportés. Mme Godefroi écoutait cette sinistre histoire sans en être révoltée ni surprise ; cela lui faisait l’effet de quelque récit des temps fabuleux. Distraite et l’esprit occupé d’autres pen-