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tamorphose, qui va évoquer toutes les voluptés et toutes les douleurs de la matière ; lorsqu’elle est seule, de quelle généreuse confiance n’a-t-elle pas besoin pour dompter ses terreurs ? Marguerite traversait ce grand jardin qu’elle avait parcouru tant de fois, folle ou rêveuse, ce grand jardin où avaient rayonné l’aube joyeuse de son enfance et le tendre éclat de sa jeunesse ; elle le traversait la nuit en toilette de mariée, sans escorte, sans cortége, sans autres témoins que ces étoiles dans lesquelles les savans nous font voir des mondes et nous empêchent d’aimer des ames fraternelles. Son voile blanc, sa robe blanche, tout son costume éblouissant, faisait un effet étrange au milieu de la sombre verdure. On eût dit l’ombre d’une de ces fiancées que les poètes font mourir au moment où elles touchent le seuil de la chambre nuptiale. Son pied posait sans bruit sur le gazon ; à la vague clarté des astres, on voyait briller dans ses blonds cheveux les diamans que convoitait l’ame du vieux Maldech. Hélas ! où est le digne conseiller Bosmann ? Il rêve peut-être en ce moment que sa chère fille épouse, devant tous les notables de la ville, un honnête jeune homme attaché avec un bon salaire à un rouage quelconque de l’ordre social ; le brave homme est endormi d’un respectable sommeil au fond d’une couche aussi pure que celle d’un enfant. Où est la vieille Marthe, ce modèle accompli des gouvernantes, qui tous les dimanches conduit Marguerité à la messe, qui chaque soir appelle autour du lit de sa Gretchen tous les anges du paradis ? La vieille Marthe goûte un repos qu’elle paiera plus tard de bien des pleurs. Quand Marguerite est sortie furtivement de sa chambre, après avoir fait dans un silence de mort les apprêts de sa toilette de mariée, si Marthe avait pu l’entendre, elle qui couche dans la chambre à côté, elle se serait élancée sur ses traces ; mais ce soir-là sans doute la pauvre femme aura mal fait sa prière ; en murmurant ses patenôtres, elle pensait à quelque remède contre les brûlures ou les cors aux pieds. Dieu, qui ne veut pas qu’on soit distrait, a lâché les rênes du diable ; or, le diable s’entend aussi bien à fermer les vieilles paupières qu’à entr’ouvrir les yeux de vingt ans. Il endort comme il éveille. Il rend la couche brûlante au corps frais et charmant de la jeune fille, il rend les draps doux et moelleux au corps desséché de la duègne. Une seule personne savait que Marguerite traversait le jardin à cette heure, c’était celui qui l’attendait.

À la petite porte du jardin, à l’extrémité de la terrasse, il y a un homme couvert d’un manteau. — Robert, mon bon Robert, est-ce toi ? Maldech montra à Marguerite son visage. — Comme tu re-