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taire qu’il avait peut-être ouvert et fermé cent fois dans la matinée. C’était là qu’il avait déposé le trésor des billets doux. Beaucoup d’hommes aiment à relire les lettres d’amour que des doigts charmans ont tracées pour eux ; j’en ai connu un qui relisait surtout de préférence celles qu’il avait écrites lui-même ; c’était un poète, et il conservait un double de ses élucubrations sentimentales. Le chevalier, qui était d’une nature peu passionnée, quoique fort galante, ne conservait pas les lettres qu’il écrivait, et se souciait assez peu de celles qu’il avait reçues. Ce fut donc sans aucun battement de cœur, sans aucune émotion douce et tendre, qu’il se mit à parcourir d’un regard distrait cette jolie prose qui cache, sous chacun de ses mots, l’idée d’un sourire ou d’un baiser. Au bout de quelques minutes, ce passe-temps, si cher aux natures sentimentales, lui devint tout-à-fait insupportable. À côté du coffret qui renfermait ces lettres en était un autre où l’ancien organiste mettait les siennes, quand il habitait le corps du chevalier. Par un sentiment de délicatesse fort louable, Tréfleur respectait tous les secrets des ames qu’on avait associées à son sort ; une lettre écrite à Maldech ou à Robert Wramp, quoiqu’elle portât pour suscription : à monsieur le chevalier de Tréfleur, était pour lui quelque chose de sacré. Pourtant, l’ennui qui l’oppressait avait acquis une si cruelle pesanteur, il avait si grand besoin de distraire sa pensée oisive, qu’il viola le mystère du coffret, et en fit sortir nombre de billets de toute forme, quoique écrits de la même main ; l’aimable et furtive correspondance de Mlle Marguerite et de Robert Wramp. C’étaient là de vrais billets d’amour, qui ne rappelaient pas ceux des présidentes et des marquises, de belles lettres renfermant les plus pures et les plus ardentes pensées qui se soient jamais cachées sous des chevelures blondes, qui aient jamais brillé dans des yeux bleus ; de belles lettres où l’on sentait non pas la vie du boudoir, l’air que secouent la gaze ou les plumes de l’éventail, mais la vie de l’oratoire et du jardin, l’air que le vent du soir envoie sous les treillages en fleurs des croisées ; de belles lettres bien rêveuses, bien passionnées, bien allemandes : le chevalier aurait pu les lire et les relire cent fois sans les comprendre, si les nécessités terrestres n’avaient pas marqué çà et là ce langage brûlant de leur inévitable empreinte. Les amans ont besoin de se voir ; pour se voir, il faut se donner des rendez-vous. Au bas d’une épître pleine des mots les plus vaporeux et des pensées les plus impalpables, bon gré mal gré, vous serez toujours obligé de mettre, si c’est une déclaration d’amour, le nom de votre rue et le numéro de votre maison. Mlle Marguerite avait quelquefois cédé aux exigences de la vie positive. Au milieu