Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/322

Cette page a été validée par deux contributeurs.
316
REVUE DES DEUX MONDES.

de Téniers ou de Van-Ostade deux énormes bourgmestres flamands. Après ce morceau, Mme la présidente Wolf voulut qu’une grande fille rousse qu’elle avait amenée avec elle donnât un échantillon de ses exercices quotidiens ; la pauvre Gretchen fut obligée de faire un dessus dans une interminable sonate. Ses petites mains blanches et légères se mirent à voltiger sur le clavier, à côté des mains rouges, épaisses et lourdes, de Mlle Wolf. Ce ne fut pas encore tout, il fallut servir le gâteau sur les assiettes dorées, et le thé dans les tasses à fleurs. Ces soins hospitaliers, dont Marguerite s’acquitta en digne Allemande, avec une bonté consciencieuse, se prolongèrent si long-temps, que le chevalier de Tréfleur perdit l’espérance de pouvoir lui parler. Il partit sans avoir eu d’elle ce soir-là autre chose que les rayons et l’harmonie qui s’étaient échappés pour tout le monde de ses regards et de sa voix.

Heureusement que les amans qui n’ont pu rien dire à leurs belles trouvent en rentrant chez eux du papier complaisant et des plumes jaseuses, qu’ils emploient à réparer leur silence. Voici un fragment de la lettre que le chevalier de Tréfleur, ou du moins celui qui occupait son corps, écrivit à Mlle Marguerite Bosmann ; elle montrera quel caractère d’intimité avaient déjà pris les relations qui existaient entre l’ancien organiste de Saint-Castor et la fille du conseiller :

« Je me bats demain, ma bien-aimée Marguerite, je vais exposer à un coup d’épée ce misérable corps dont je ne suis même pas le légitime possesseur. Quel sera le sort nouveau de mon ame, si cette enveloppe est mortellement frappée ? Je n’en sais rien. Passerai-je dans un autre corps ? aurai-je la puissance de me révéler à toi d’une façon distincte ? Que de doutes et d’épouvantes ! Eh bien ! parmi toutes les pensées qui traversent mon cœur en cet instant d’angoisses, il en est une qui me fait plus souffrir que toutes les autres. Je me dis : Mon amour est-il aussi inséparable de mon ame que la chaleur et l’éclat le sont du rayon de lumière, ou bien peut-il s’évanouir en laissant subsister quelque chose de moi ? Si affreux, si insupportable que le néant paraisse quand son idée se présente à l’imagination humaine, je ne le redouterais point pour mon ame tout entière, mais pour ce qu’il y a de meilleur en elle, pour la seconde vie dont tu l’as animée ; oh ! je le hais jusqu’à la révolte et au blasphème. »

Cette lettre, écrite tantôt dans la langue de la métaphysique, tantôt dans celle de la poésie, était longue, si longue, qu’elle lasserait la patience des esprits les plus romanesques ; et puis, il s’y trouvait