Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/310

Cette page a été validée par deux contributeurs.
304
REVUE DES DEUX MONDES.

n’eût pas été déplacé à côté d’un stylet mignon à la ceinture d’une Espagnole, brillait à travers les plis formés par les draps blancs et fins de la couche abandonnée. Ce fut ce dernier objet qui attira les regards du furieux dont le docteur Trump suivait les mouvemens avec une inquiétude toujours croissante. — Ah çà ! dit-il, je m’étais endormi sur un grabat, et je me réveille dans un lit à colonnes d’ébène avec un miroir de femme auprès de moi ! Est-ce la vieille Rachel qui m’a apporté cette belle glace pour que je puisse m’amuser à compter mes rides et à regarder mes quatre dents ? — Mais à peine eut-il porté la glace à son visage, qu’il poussa un cri d’effroi, s’approcha du jour et se contempla avec une terreur qui semblait surpasser encore celle dont le docteur Trump était rempli.

L’honnête médecin ne voulut pas rester témoin plus long-temps des actions de ce possédé. Il quitta, en levant les yeux au ciel, la chambre que le terrible Blum avait choisie pour le théâtre de ses sortiléges. Il franchissait les dernières marches de l’escalier, quand il rencontra Jasmin, le valet de chambre du chevalier de Tréfleur. — Jasmin, mon pauvre Jasmin, lui dit-il, votre excellent maître n’est plus, et il y a là-haut un démon qui fait le sabbat dans son corps.

II.

Coblentz, pendant l’émigration, avait une physionomie toute différente de celle que présentent d’ordinaire les villes d’Allemagne. Au lieu des bandes chantantes d’étudians et d’ouvriers, on rencontrait le soir dans les rues des jeunes gens aux allures de gardes-du-corps et de mousquetaires. La jeune fille à l’œil limpide et bleu, qui autrefois regagnait seule sa demeure à la fin du jour, pleine de confiance dans l’honnêteté germanique, n’osait plus sortir maintenant sans avoir pour appui le bras d’un robuste fiancé. Au lieu des deux ou trois promeneurs de profession qui tous les soirs, avant et après le repas, se saluaient, s’abordaient ou s’évitaient aux mêmes endroits, on voyait sur les boulevarts errer les élégans habitués du parc de Versailles ; des femmes en paniers posant avec précaution les grands talons de leurs petits souliers sur la mousse verte des allées, tandis que la chaise à porteurs les suit par derrière ; de jeunes seigneurs aux mains blanches, et même quelques-uns de ces jolis abbés qui firent du noir une couleur galante aussi chère aux amours que le vert tendre de la robe d’Iris, ou l’azur de la veste de Clidamant.

Le jour où s’était passée la scène qu’on vint de lire, un magni-