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froid. Pour vous montrer tout ce que ma proposition a de sérieux et de réel, je vais suspendre un instant vos douleurs, sauf à vous les rendre si le marché continue à vous déplaire.

« Je vous jure, mon cher monsieur Trump, dit le chevalier en continuant son récit, qu’à peine ce diable d’homme eut-il fait quelques gestes en arrêtant sur moi ses grands yeux fixes et profonds, que je sentis le calme et le bien-être rentrer dans mes sens ; je dis à Jasmin de m’apporter mon miroir, et je me trouvai le teint aussi fleuri que si j’avais vécu d’ailes de faisans pendant quinze jours. Vous devinez l’effet prodigieux qu’un pareil phénomène produisit sur mon esprit. Le docteur Blum me laissa alors savourer le retour graduel de mes forces, le rétablissement de l’équilibre dans mes humeurs et de la régularité dans mes fonctions animales ; puis, au bout de quelques instans d’une attente savamment ménagée : — Voyons, me dit-il avec un sourire benin, ne vaut-il pas mieux être pour un tiers dans la jouissance d’un corps frais et bien réglé, agréable à l’extérieur, au dedans plein d’une douce chaleur et de commodités cachées, que d’avoir en toute propriété un misérable corps jauni comme les figures de cire du vieux Kroller, creusé, miné, démantelé par la toux et par la fièvre comme la baraque du gardien Gripp, qui s’écroulera un jour sous les efforts des rats ? Allons, mon cher chevalier, réfléchissez quelques momens, et je fais trop de fonds sur votre sagesse pour croire que mes offres seront rejetées. — Mais, docteur, me hasardai-je à dire déjà à moitié subjugué, la santé n’a pas rompu avec moi pour toujours. Je ne vois point pourquoi je ne posséderais pas seul ce corps bien tenu et bien réglé dont vous parlez de façon à réjouir le cœur. — Mon cher chevalier, ne vous flattez pas ; tout à l’heure je vous aurai remis dans l’état où vous étiez avant de m’avoir fait venir, et du diable si cet imbécile de Trump vous rend jamais votre première vigueur. Il vous restera une irritation continuelle à la gorge qui rendra douloureux le passage du bon vin du Rhin dans votre estomac ; il vous restera un embarras dans les poumons qui vous empêchera d’aspirer cet air salutaire du matin où l’on puise la gaieté et l’appétit ; il vous restera, et c’est là surtout ce qui vous sera pénible, une faiblesse dans l’épine dorsale qui ôtera à votre taille ce qu’elle a de gracieux et de dégagé ; il vous restera… — Grace ! docteur, grace ! m’écriai-je épouvanté ; je vous abandonne mon corps, tâchez seulement de surveiller un peu ceux à qui vous allez le confier pour qu’ils en fassent un usage décent et convenable ; mieux vaut sa part d’un bon manteau que des haillons pour soi seul. — Puisque vous voilà rai-