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du Ministère de la Marine de Paris, est véritablement énorme, on s’y perd. Une ondulation du terrain, dont l’on a habilement profité, y produit les effets les plus pittoresques.

Voilà à peu près, mon cher ami, ce que j’ai vu en me promenant à travers la ville. Tout ceci est bien incomplet ; si je voulais faire une description exacte et détaillée de Londres, une lettre ne suffirait pas, il faudrait des volumes. Mais quel est ton avis sur la cuisine de Londres ? me diras-tu ; qu’y boit-on ? qu’y mange-t-on ? car les faiseurs de voyages, tout occupés de se quereller pour la mesure exacte d’une colonne ou d’un obélisque dont personne ne se soucie, passent ordinairement ces choses-là sous silence. Moi, qui n’appartiens pas à cette classe sublime, je te répondrai : La question est grave, aussi grave pour le moins que la question d’Orient. — Les Anglais prétendent qu’ils ont seuls le secret d’une nourriture saine, substantielle et abondante. — Cette nourriture se compose principalement de soupe de tortue, de beefsteak, de rump-steak, de poissons, de légumes cuits à l’eau, de jambon de bœuf, de tourtes de rhubarbe, et autres mets aussi primitifs. Il est bien vrai que toutes ces nourritures sont parfaitement naturelles et cuites sans aucune sauce ou ragoût, mais on ne les mange pas comme on les sert. L’accommodement se fait sur la table, et chacun le gradue à sa guise. Six à huit petites buires posées sur un plateau d’argent, renfermant du beurre d’anchois, du poivre de Cayenne, de l’harvey-sauce, et je ne sais quels ingrédiens hindous à vous faire venir des ampoules au palais, font de ces mets si simplement apprêtés quelque chose de plus violent que les ragoûts les plus sublimés. — J’ai mangé sans sourciller une friture de pimens et des confitures de gingembre de la Chine. Ce n’était que miel et sucre à côté de cela. Le porter, la vieille ale d’Écosse, qui me plaît beaucoup, ne ressemblent en rien à nos bières de France, ni à celles de Belgique, déjà si supérieures aux nôtres. Le porter prend feu comme l’eau-de-vie, l’ale d’Écosse grise comme du vin de Champagne. Quant au vin qu’on boit en Angleterre, le claret, le sherry et le porto, c’est du rhum plus ou moins déguisé. On y absorbe aussi, sous prétexte de vin de Champagne, une grande quantité de poiré d’Exeter. Au dessert, avec le fromage de Chester et les petits gâteaux secs, on apporte du céleri fort proprement dressé dans une coupe de cristal. Les oranges, qui viennent de Portugal, sont excellentes et ne coûtent presque rien. C’est la seule chose qui soit à bon marché à Londres.

J’ai dîné à l’hôtel de Brunswick, près des docks des Indes, tout au