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UNE JOURNÉE À LONDRES.

deux pieds à peine, et traversent ainsi les quartiers les plus populeux. En cas d’alerte, ils s’appellent entre eux au moyen d’une crécelle de bois. Cette circulation immense, ce mouvement effrayant qui donne le vertige, est pour ainsi dire livré à lui-même, et, grace au bon sens de la foule, il n’arrive aucun accident.

La population a l’apparence plus misérable que celle de Paris. Chez nous, les ouvriers, les gens des basses classes, ont des habits faits pour eux, grossiers il est vrai, mais d’une forme particulière, et qu’on voit bien leur avoir toujours appartenu. Si leur veste est déchirée aujourd’hui, on comprend qu’ils l’ont portée neuve autrefois. Les grisettes et les ouvrières sont fraîches et propres, malgré la simplicité de leur mise ; à Londres, ce n’est pas cela, tout le monde porte un habit noir à queue de morue, un pantalon à sous-pieds et un qui capit ille facit, même le misérable qui ouvre la portière des voitures de place.

Les femmes ont toutes un chapeau et une robe de dame, de sorte qu’au premier coup d’œil on croit voir des gens d’une classe supérieure tombés dans la détresse, soit par inconduite, soit par revers de fortune. Cela vient de ce que le peuple de Londres s’habille à la friperie ; et de dégradation en dégradation, l’habit du gentleman finit par figurer sur le dos du récureur d’égout, et le chapeau de satin de la duchesse sur la nuque d’une ignoble servante ; même dans Saint-Gilles, dans ce triste quartier des Irlandais, qui surpasse en pauvreté tout ce qu’on peut imaginer d’horrible et de sale, on voit des chapeaux et des habits noirs, portés le plus souvent sans chemise, et boutonnés sur la peau qui apparaît à travers les déchirures : — Saint-Gilles est pourtant à deux pas d’Oxford-Street et de Piccadilly. Ce contraste n’est ménagé par aucune nuance. Vous passez sans transition de la plus flamboyante opulence à la plus infime misère. Les voitures ne pénètrent pas dans ces ruelles défoncées, pleines de mares d’eau où grouillent des enfans déguenillés, où de grandes filles à la chevelure éparse, pieds nus, jambes nues, un mauvais haillon à peine croisé sur la poitrine, vous regardent d’un air hagard et farouche. Quelle souffrance, quelle famine se lit sur ces figures maigres, hâves, terreuses, martelées, vergetées par le froid ! Il y a là des pauvres diables qui ont toujours eu faim à partir du jour où ils ont été sevrés ; tout cela vit de pommes de terre cuites à la vapeur, et ne mange du pain que bien rarement. À force de privations, le sang de ces malheureux s’appauvrit, et de rouge devient jaune, comme l’ont constaté les rapports des médecins.

Il y a dans Saint-Gilles, sur les maisons des logeurs, des inscrip-