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LE DERNIER OBLAT.

manière d’observation : — Cet enfant a beaucoup grandi, monsieur l’abbé.

Ce fut là toute l’attention qu’il accorda au pauvre Estève, qui, tout interdit et troublé, s’était instinctivement rapproché de sa mère. Le marquis passa devant lui sans le regarder, et offrit la main à Mme Godefroi pour remonter au salon.

Le marquis de Blanquefort était alors un homme d’environ soixante ans. Aucune infirmité n’avait frappé sa vigoureuse vieillesse, et sa figure présentait encore un type frappant. Ses traits étaient fortement accusés, et son profil offrait ces grandes lignes auxquelles on reconnaît les portraits de Louis XIV ; c’était une beauté de race qui caractérisait les Blanquefort, et se transmettait avec le sang. Le marquis avait les façons élégantes et polies d’un homme du monde, mais tempérées par une austère gravité. Comme tous les membres des anciennes cours souveraines, il était justement pénétré de la dignité de ses fonctions, et l’on sentait en lui à un haut degré la religion d’honneur d’un gentilhomme et la sévère intégrité d’un magistrat. Pourtant, à travers ces grandes manières, qui véritablement imposaient le respect, perçaient parfois certains traits de caractère, et ceux qui approchaient de près le marquis, savaient qu’il était d’un naturel violent, despotique et inflexible.

Le comte Armand avait tous les traits de son père ; c’était une de ces ressemblances frappantes qui caractérisent l’individu et font connaître au premier aspect de quelle race il sort. En voyant les traits du comte Armand, on reconnaissait qu’il était un Blanquefort aussi bien que s’il eût, comme au temps passé, porté son écusson armorié sur la poitrine ; mais sa physionomie annonçait, entre son père et lui, une dissemblance morale non moins complète que la ressemblance physique : le jeune comte avait l’air doux, timide et mélancolique de sa mère.

Mme Godefroi avait été rassurée à demi par l’accueil de son beau-frère. Elle jugea sur-le-champ que c’était un homme d’un esprit élevé, d’un noble caractère, et il lui sembla que le bonheur de cette famille qu’elle venait de trouver si désunie n’était pas entièrement perdu. Elle résolut d’observer en silence cette situation qu’elle ne comprenait pas encore entièrement et d’agir ensuite d’une manière directe auprès du marquis.

On s’était assis dans le salon, et entre ces quatre personnes, dont l’esprit devait cependant être préoccupé d’intérêts vifs et présens, il n’était question que des choses les plus indifférentes. Pendant une