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HISTOIRE LITTÉRAIRE.

en France ; à Paris même, la Bibliothèque du roi n’était accessible que pour un petit nombre de personnes, et après la mort des savans qui les avaient formées, ces belles collections étaient dispersées, ou bien allaient s’ensevelir au fond d’un cloître. Dans certains cas, il est vrai, le donateur demandait au couvent que la bibliothèque fût ouverte au public. C’est ce que firent Hennequin à Troyes, Mazenot à Lyon, Prousteau à Orléans, et quelques autres ; mais c’étaient là des cas rares, et la plupart des plus beaux manuscrits restaient encore enfouis dans les couvens, qui souvent n’en avaient aucun soin. Cette incurie scandalisa grandement dom Martène, savant bénédictin, qui, dans la relation de son Voyage littéraire, entrepris au commencement du siècle dernier, signala à cet égard des abus intolérables. Cependant les abus continuèrent, l’accès des bibliothèques ecclésiastiques ne devint guère plus facile, et très peu de villes de province purent avoir une bibliothèque. Ce ne fut que par la suppression des ordres religieux, à la révolution, que ces riches collections devinrent utiles au public. Il est vrai qu’il y eut alors beaucoup de gaspillage, et que, dans certaines localités, des manuscrits précieux furent enlevés ou détruits. Toutefois la destruction fut beaucoup moindre qu’on ne l’a cru. Quant aux manuscrits qui furent détournés, il s’en retrouve tous les jours dans des collections particulières, ils reparaissent dans les ventes, et si l’état eut à se plaindre de l’indélicatesse de quelques dépositaires infidèles, ces ouvrages du moins ne furent pas perdus pour les lettres. D’ailleurs, c’est surtout à cause du peu de valeur que l’on attachait alors aux monumens littéraires que ces manuscrits furent donnés ou vendus souvent à vil prix à des particuliers par les communes chargées de les garder. Malgré ces pertes si regrettables, en visitant avec soin les bibliothèques des départemens, on se persuade facilement que le mal a été exagéré par des personnes qui calomniaient la révolution, et qui inculpaient des autorités placées entre la hache révolutionnaire et les baïonnettes des étrangers pour n’avoir pas conservé les manuscrits avec plus de soin que ne l’avaient su faire, dans des temps de calme et de prospérité, les chanoines de Bourges ou les moines de Clairvaux.

Au reste, ces inconvéniens, inséparables d’un si grand et si brusque déplacement, ont été bien compensés par l’avantage immense d’avoir dans les départemens un nombre très considérable de bibliothèques publiques. Sans parler des villes principales, il n’y a guère, dans les départemens, de ville de second ordre qui ne possède une collection