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Au milieu des évènemens si graves qui préoccupaient et épouvantaient tous les esprits, on fit à peine attention à un auto-da-fé que peu de personnes se rappellent aujourd’hui. Sous prétexte que ces livres contenaient l’histoire de la noblesse française, on brûla, pendant plusieurs jours, sur la place Vendôme, au milieu de Paris, des centaines de manuscrits remplis de pièces originales, de chartes et de documens historiques de toute nature. Sans le dévouement courageux des conservateurs de cette bibliothèque, la perte aurait été bien plus grande, car tous les manuscrits blasonnés, tous ceux qui contenaient des ouvrages religieux, étaient menacés. Cependant ce vandalisme ne dura pas, et non-seulement cette bibliothèque répara ses pertes, mais elle s’enrichit immensément par l’héritage des couvens supprimés de Paris, dont les précieux manuscrits furent presque tous déposés dans cet établissement. Actuellement la Bibliothèque royale contient environ quatre-vingt mille manuscrits, et en y joignant ceux qui se trouvent à l’Arsenal, à la bibliothèque Mazarine, à Sainte-Geneviève et à l’Institut, on forme une masse qui, sans aucun doute, n’a d’égale dans aucune autre ville de l’Europe.

Pendant que la Bibliothèque royale commençait et recevait de si notables accroissemens, les bibliothèques des couvens s’étaient enrichies dans les provinces par une multitude de legs pieux. Dans des temps de troubles, on offrait des livres aux couvens et aux églises pour les placer dans un asile sûr. Les ex-voto, les dons aux autels, se multiplièrent. Ce fut ainsi que quelques chapitres devinrent bientôt si riches en anciens manuscrits, et l’on sait qu’au lieu de laisser sa bibliothèque à son successeur, saint Louis l’avait partagée entre quatre couvens. Malheureusement ces asiles, si respectés dans les guerres ordinaires, furent violés dans les guerres de religion, et le XVIe siècle vit quelques-unes des plus anciennes bibliothèques de la France dévastées par le fanatisme aveugle des calvinistes. Tel fut le sort de la bibliothèque de l’île Barbe de Lyon, fondée par Charlemagne, et de celle de Saint-Benoît-sur-Loire (abbaye célèbre où se réunissaient, au Xe siècle, plus de cinq mille écoliers), pillées toutes deux à diverses reprises par les huguenots. Plusieurs de ces manuscrits furent perdus ; d’autres, retrouvés par Bongars et par Petau, finirent par sortir presque tous de France, et sont aujourd’hui à la bibliothèque du Vatican. Au XVIe et au XVIIe siècle, il se forma dans les provinces des collections précieuses de manuscrits, et les érudits connaissent toute l’importance des bibliothèques de Pithou, de Peiresc et de Bouhier. Il n’y avait guère alors de bibliothèques publiques