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LE SALON.

et pas assez d’emprunts à la nature, même au point de vue idéal. Le ton général est sévère, trop sévère, car il approche de la monotonie. Les arbres du fond de la vallée sont du même ton et de la même forme que les rochers sur lesquels ils appuient, et on a de la peine à les en distinguer. En somme, si dans ce nouvel essai de paysage héroïque M. Aligny n’a pas complètement atteint le but qu’il poursuit et ne s’est pas égalé lui-même, son œuvre conserve toujours son rang. Il se peut qu’il se soit trompé, mais ce genre d’erreur n’est pas à la portée du commun des artistes. L’étendue de ces observations lui prouvera que nos restrictions à l’égard de son dernier ouvrage ne s’étendent pas jusqu’à son talent, qui peut errer, mais non s’abaisser.

La tendance de M. Édouard Bertin a de l’analogie avec celle de M. Aligny, quoiqu’il ne procède pas de la même manière. C’est la même recherche de la grandeur dans l’effet moral, dans le style et dans l’exécution. Seulement l’un s’inspire plus volontiers de la Bible, et l’autre de la mythologie. La Tentation du Christ de M. Édouard Bertin a, selon nous, comme composition, le défaut de vouloir être tout à la fois un tableau d’histoire et un paysage, et, comme elle n’est qu’à demi chacune de ces choses, l’effet total manque de décision et d’unité. En effet, si l’on ôte les figures du Christ et de Satan, il ne reste qu’une belle masse de rochers d’une touche large et d’un grand caractère de dessin, mais qui ressemble assez à un fragment détaché de composition qu’on aurait agrandi en tous sens pour qu’il suffît seul à remplir la toile ; et si l’on fait abstraction de ce morceau de montagne, il ne reste que deux figures trop petites et trop éloignées de l’œil pour jouer avec convenance un premier rôle. Mais si l’on prend son parti sur ce point, et si on considère ce paysage uniquement comme peinture, on ne pourra qu’en admirer la large et belle exécution. Le ton général a paru gris, et il l’est en effet ; mais y a-t-il beaucoup de maîtres, même parmi les meilleurs, qui n’aient un ton dominant ? Ce ton est dans le faire d’un artiste ce qu’est l’accent dans le langage. Il suffit qu’il ne soit pas choquant.

La route de M. Calame est tout autre. Ses précédens sont en Hollande et en Flandre, mais il a une manière propre, une exécution savante, adroite et pleine de séduction. Son grand paysage de cette année est une page de marque. On était un peu blasé sur ses glaciers, ses sapins, ses tourmentes de neige, fantasmagorie alpestre dont il commençait à abuser. Son site, réel ou plus ou moins com-