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idée de ce qu’ils faisaient en ce genre. Les anciens ne paraissent pas avoir eu autant que les modernes le sentiment des beautés de la nature ; ils ne s’en sont jamais fait un spectacle à part, et ne l’ont guère considérée que comme la demeure de l’homme et des êtres surnaturels dont ils l’avaient peuplée. En la divinisant au point de polythéiste, ils l’avaient pour ainsi dire incorporée à la forme humaine et transformée en un drame :

Ce n’est plus la vapeur qui produit le tonnerre,
C’est Jupiter armé pour effrayer la terre ;
Un orage terrible aux yeux des matelots,
C’est Neptune en courroux qui gourmande les flots ;
Écho n’est plus un son qui dans l’air retentisse,
C’est une nymphe en pleurs qui se plaint de Narcisse.

Telle était la nature des Grecs : un théâtre où ils ne voyaient que les acteurs. Le christianisme mit en fuite toute cette population. Il débarrassa les rivages des fleuves de ces vieillards barbus et couchés sur leur urne, il expulsa des forêts les hamadryades et les sylvains, il permit au soleil de marcher seul dans l’espace sans le secours des coursiers d’Apollon, il ôta à Junon, à Neptune et à Jupiter, le gouvernement de l’atmosphère,

Et chassa les tritons de l’empire des eaux.

La nature dès-lors apparut aux yeux de l’homme telle qu’elle sortit des mains du créateur, animée de son souffle puissant, et pour rencontrer sa gloire. Elle devint immédiatement la propriété de la science et celle de l’art. Le paysage fut possible.

Ce n’est cependant que bien des siècles après cette révolution morale que la peinture s’avisa de reproduire ce ravissant spectacle. À l’origine et pendant la plus belle époque de l’art chrétien, la nature ne joua qu’un rôle secondaire dans les représentations plastiques. La peinture fut alors essentiellement hiératique et historique. Le sentiment religieux, dirigé et fortement maintenu dans une voie déterminée par les formules précises du dogme et les traditions écrites et orales de l’histoire sacrée, trouvait dans ces croyances et dans ces traditions les thèmes de représentations les plus riches, les plus élevés, les plus touchans et les plus frappans. Il s’y circonscrivit exclusivement. Ce monde matériel, d’ailleurs, que nos langues modernes appellent la nature, n’était et ne devait être, dans l’esprit du christianisme primitif, qu’un objet de dédain et même de réproba-