Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/232

Cette page a été validée par deux contributeurs.
226
REVUE DES DEUX MONDES.

Dieu est-elle autre chose que leur histoire ? Qu’est ensuite la beauté ? Se trouve-t-elle dans les rougeurs du soir, dans l’immensité des nuits, dans la magnificence des océans, dans la fleur, dans le mystère des bois, peut-être dans un sourire d’amour, dans un regard de consolation ? Elle est dans tout cela sans doute, répond M. Quinet ; mais elle y est fragile, fugitive, et notre tristesse, quand nous voyons la fleur se faner, les graces de la jeunesse déchoir, nous dit assez que cette beauté périssable est incomplète aussi, qu’elle nous a trompés, qu’elle ne saurait nous suffire. Notre rêve en demande une que rien ne puisse jamais ni altérer ni dépasser ; et cette éternelle perfection, dont le souvenir confus est dans toutes nos admirations, qui peut-elle être que Dieu ? La religion est donc l’idéal qui règne sur chaque peuple. Ce n’est pas que l’art se confonde avec elle. En grandissant, il s’émancipe, il réclame l’indépendance, il ne tarde pas à mêler aux traditions consacrées ses libres imaginations, il altère bientôt le dogme. Les artistes, à vrai dire, n’ont qu’un culte, celui de la souveraine beauté ; tous ils cherchent, sans le savoir, le même dieu, et c’est pour cela que l’art, chez les divers peuples, se ressemble bien plus que la religion.

L’histoire de l’art s’ordonne, d’après ce principe, en autant d’époques que l’histoire des cultes. En Orient, c’est la nature que l’homme adore ; c’est elle qui le ravit de terreur ou d’amour, qui possède sa pensée, qui inspire ses rêves. Pour exprimer cette beauté, il faut un art d’où l’homme, pour ainsi parler, soit absent, et qui, par sa géométrie, sa grandeur et son mystère, traduise aux yeux l’ordonnance mystique de l’univers : il n’y a que l’architecture qui puisse faire cela. En Grèce, l’homme s’adore lui-même, et c’est sa forme que prend la beauté. L’art qu’a produit cette nouvelle phase de l’idée divine est et devait être la statuaire, qui idéalise l’homme, le dépouille de ce qu’il a d’éphémère, de caduque et de mortel, imprime à ses traits la sereine majesté de l’apothéose, tempère d’un calme suprême toutes ses agitations et toutes ses douleurs, lui prête la grandeur des dieux et donne aux dieux sa figure. Avec le christianisme, la sensualité païenne fut abandonnée ; les artistes firent pénitence, la beauté resplendissait pour eux dans les traits affligés et le regard miséricordieux du divin coupable. Ce fut alors que la peinture, de tous les arts du dessin le moins matériel, parvint à sa perfection, et la musique aussi, la seule voix fidèle que le cœur trouve pour chanter les joies de l’amour et ses mélodieuses tristesses.

Raconter l’histoire de l’art, c’est dire ainsi les évènemens de la