Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/221

Cette page a été validée par deux contributeurs.
215
DU GÉNIE DES RELIGIONS.

un autre, libre, spontané, sans distinction de rang ni de titre : des fils de la solitude, des bergers et des rois, recevaient les confidences immédiates de Dieu, les visions de l’avenir, ou, pour mieux dire, c’était le peuple entier qui prophétisait ; car par sa foi il portait la sentence contre les nations, déclarait le triomphe réservé à son Dieu et les destinées qui attendaient l’humanité. Ce n’étaient pas en effet des évènemens isolés, des faits épars, que ces prophéties annonçaient, comme celles des astrologues de Chaldée, des prêtres d’Ammon, de la pythie de Delphes, des augures de l’Étrurie, mais les grandes révolutions de l’histoire, un changement social et universel, la rédemption du monde entier.

M. Quinet, qui ne voit dans tous les cultes de l’Orient, à l’exception de celui des Hébreux, sous des symboles divers qu’une même divinité, sous des formes variées qu’une pensée unique, l’apothéose de la nature, trouve en Grèce l’apothéose de l’homme, à Rome celle de la cité, et à la dernière heure du paganisme expirant l’apothéose de la pensée avec l’école d’Alexandrie, qui chercha pour sa philosophie une sanction religieuse, et qui livra le dernier combat contre le christianisme. Après cela, il ne restait qu’à chercher un dieu plus grand que la nature et que l’homme, qu’à s’agenouiller avec les bergers et les mages devant la crèche de Bethléem.


On peut voir, d’après cette exposition des idées de M. Quinet, la marche qu’il suit dans son ouvrage. Il ne parle guère avec détail des dieux de chaque peuple, de leurs fables religieuses, des cérémonies du culte. De prime-abord il se pose au faîte de leurs théologies. Il procède toujours par synthèse, et formule l’histoire plutôt qu’il ne la raconte ; il néglige les faits extérieurs qu’il pourrait peindre avec tant d’éclat. Un peuple est, à ses yeux, un système qu’on devine tout entier dès qu’on en connaît le principe ; c’est ce principe qu’il cherche à atteindre ; puis, quand il s’est élevé jusqu’à cette suprême abstraction, il la pare des plus riches couleurs, il l’anime, il lui donne vie, et le penseur se trouve être un brillant poète. Ce procédé a bien des dangers en histoire, et surtout dans le sujet qu’a traité M. Quinet. Nulle part les faits ne sont plus obscurs, plus incertains, ni les généralisations par conséquent plus faciles et plus périlleuses.

Un coup d’œil sur l’état de la science nous en convaincra. Les livres sacrés les plus anciens sont, en général, postérieurs à l’origine des croyances qu’ils nous ont transmises. Ils contiennent déjà des idées d’ages différens qu’il est d’autant plus malaisé de discerner,