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nous un souffle de jeunesse et les parfums de leurs Alpes. Du reste, toutes les tribus patriarcales ont, des divers sommets de la terre, salué de la même adoration l’aurore naissante des premiers jours qui se sont levés sur les hommes ; de cime en cime, leurs cantiques s’entre-répondent et forment sur les hauts lieux un vaste chœur de louanges ; partout d’abord la lumière a révélé Dieu.

À ce culte grand et naïf succède une autre époque où cette doctrine si simple est pénétrée d’une mysticité subtile qui discerne sous la lettre un sens caché et spirituel. Cette différence fonde le sacerdoce et le sépare profondément des autres classes. Les états se forment, soumis à des rois conquérans qui s’abaissent devant les prêtres. Des ascètes, dégoûtés déjà de ce monde qu’ils ont à peine entrevu, se retirent au fond des forêts. Tout est changé, et les images nouvelles qui se présentent sans cesse annoncent aussi un changement de lieu. Les pasteurs ont quitté leurs montagnes, et, de vallées en vallées, de forêts en forêts, ils sont arrivés jusqu’aux rivages de l’Océan, où les attendait un spectacle nouveau.

Cette solitude immense, inviolée, souriante ou terrible, toujours changeante et toujours la même, ciel et terre à la fois, ces eaux sans limites, dont les formes ne sont qu’illusion fugitive, jeux et caprices, devaient révéler une nouvelle figure de la Divinité. Toutes les harmonies du nouveau dieu, de Brahma, sont avec l’Océan. Il flotte dans le calice d’un lotus, au milieu des mers, et c’est de sa rêverie, bercée par le murmure de leurs ondes, que naît la création. Laissons parler les antiques Védas, qui nous racontent cette primitive solitude de Dieu : « Lui vivait sans respirer, seul avec lui-même. Regardant autour de lui, l’esprit ne vit rien que lui-même, et il eut peur ; c’est pourquoi aujourd’hui l’homme a peur quand il est seul. Cependant il pensa : — Il n’est rien hors de moi ; qui craindrais-je ? — Et cette terreur s’éloigna de lui ; mais il ne sentit aucune joie, et c’est pourquoi l’homme est triste quand il est seul. »

Cette psychologie ne ressemble guère à celle de l’école écossaise.

À la terreur succède le désir. Le grand solitaire souhaite l’existence d’un autre que lui-même, et ce désir à peine né devient le germe des choses. Pour peupler de lui-même le non-être, pour combler sa solitude et réaliser les types qu’il a conçus, l’être infini s’abaisse à revêtir successivement toutes les formes de la nature, à traverser tous les degrés de l’existence. Mais alors il ne se reconnaît plus, car il a perdu sa primitive grandeur, il est tombé de ses hauteurs éternelles dans l’espace et dans le temps, et la création a été