Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/201

Cette page a été validée par deux contributeurs.
195
ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

Et ta beauté, belle parfaitement,
Ne pourra pas te durer longuement.

Desportes, qui n’allait plus emprunter si loin ses modèles et s’en tenait habituellement aux Italiens, a ressaisi et continué le plus fin du genre au sonnet suivant :

Vénus cherche son fils, Vénus tout en colère
Cherche l’aveugle Amour par le monde égaré ;
Mais ta recherche est vaine, ô dolente Cythère !
Il s’est couvertement dans mon cœur retiré.

Que sera-ce de moi ? que me faudra-t-il faire ?
Je me vois d’un des deux le courroux préparé ;
Égale obéissance à tous deux j’ai juré :
Le fils est dangereux, dangereuse est la mère.

Si je recèle Amour, son feu brûle mon cœur ;
Si je décèle Amour, il est plein de rigueur,
Et trouvera pour moi quelque peine nouvelle.

Amour, demeure donc en mon cœur sûrement ;
Mais fais que ton ardeur ne soit pas si cruelle,
Et je te cacherai beaucoup plus aisément[1].

On ne peut faire un pas dans ces poètes sans retrouver la trace et comme l’infusion d’Anacréon. Jacques Tahureau, qui en était digne, n’a pas assez vécu pour en profiter. Olivier de Magny, en ses derniers recueils, y a puisé plusieurs de ses meilleures inspirations. En voici une qui n’est qu’une imitation lointaine, mais qui me paraît d’un tour franc, et non sans une certaine saveur de terroir qui en fait l’originalité. Le poète s’adresse à un de ses amis appelé Jean Castin, et déplore la condition précaire des hommes :

Mon Castin, quand j’aperçois
Ces grands arbres dans ces bois,
Dépouillés de leur parure,
Je ravasse à la verdure
Qui ne dure que six mois.

Puis je pense à notre vie
Si malement asservie,
Qu’el’ n’a presque le loisir

  1. Voir, pour le début, celui de l’Amour fugitif de Moschus, puis l’ode d’Anacréon, dans laquelle l’Amour, après avoir épuisé contre lui tous ses traits, se lance lui-même en guise de flèche dans son cœur, et, une fois logé là, n’en sort plus.